Après l’homicide involontaire de Tire Nichols aux États-Unis, les appels à la réforme de la police suivent

Les cinq flics qui ont battu à mort un jeune homme noir à Memphis sont également noirs, mais cela ne rend pas la brutalité policière moins raciste. « Même une culture policière diversifiée peut se former selon des stéréotypes racistes », explique l’avocat Yassine Boubout.

Martin Rabey

La mort brutale de Tire Nichols, 29 ans, battu à mort à deux pas de chez lui alors qu’il appelait sa mère, a déclenché un débat houleux aux États-Unis sur la réforme de la police. Le fait que les cinq agents impliqués soient également noirs rend le débat encore plus sensible.

« Cette affaire montre que l’idée qu’apporter uniquement de la diversité à une force de police est insuffisante pour réformer le système de police américain », déclare l’avocat Yassine Boubout, qui étudie en tant qu’expert la brutalité policière chez lui et à l’étranger. « Chaque corps de police a sa propre sous-culture. Des études le montrent aussi bien en Belgique qu’aux États-Unis. À un certain moment, vous n’êtes pas noir ou blanc mais bleu et vous commencez à agir selon la sous-culture dominante de ce corps particulier. Si cette sous-culture est malade, vous pouvez même avoir une force à quatre-vingt-dix pour cent diversifiée, même dans ce cas, ces agents de couleur peuvent toujours être formés selon des stéréotypes racistes. Comme l’hypothèse erronée « que tous les hommes noirs sont potentiellement dangereux ».

Parfois, il y a même une surcompensation parmi les agents de couleur, qui veulent progresser dans une force à dominante blanche. « Ce que vous entendez souvent des flics noirs : ‘Je suis trop bleu pour la communauté noire, ou trop noir pour la communauté bleue' », explique Boubout. « La surcompensation en est parfois le résultat, également en Belgique. Alors ces flics pensent : je dois faire mes preuves deux fois, je dois faire de mon mieux, parce que j’ai une couleur. Si vous vous retrouvez alors dans une culture raciste, cela signifie parfois paradoxalement que vous avez un comportement extra-raciste. Ensuite, vous traitez les personnes de couleur très durement.

Les troupes d’élite ne sont pas des agents de la circulation

Les agents en question étaient également membres d’une unité d’élite lourdement armée, les Scorpions, aujourd’hui démantelée. Ils ont peut-être été abusés par leur hiérarchie ou se sont sentis impunis en raison de leur statut élitiste.

Boubout : « Le problème, c’est souvent que des hommes qui sont formés pour faire face à des crimes graves sont envoyés dans des situations banales. Ils sont formés pour répondre durement aux crimes graves. Si vous devez alors intervenir pour un « arrêt de la circulation », comme cela s’est produit avec Nichols à Memphis, ou un conflit de voisinage, alors le risque de problèmes est élevé car vous n’êtes pas formé pour ce travail de police ordinaire.

Selon Boubout, c’est aussi un phénomène qui existe en Belgique. « Dans nos grandes villes comme Bruxelles et Anvers, on constate aussi que des agents formés à la grande délinquance doivent intervenir pour des délits simples. Mes recherches montrent que les personnes qui se plaignent d’une action policière brutale ont souvent été confrontées à une telle équipe. (Prenons, par exemple, la mort de Jonathan Jacob en 2010, mort dans une cellule de Mortsel après une répression de la Special Assistance Team ou ‘les botinnekes’, ndlr.)

Le manque d’éducation est l’un des principaux problèmes aux États-Unis. « Leurs jeunes agents sont rarement bien formés », explique Boubout. « Dans certaines villes, ils sont envoyés dans la rue armés après six mois de formation. La Belgique possède également l’une des formations les plus courtes de toute l’Europe, avec un an de formation et six mois de formation pratique.

Aux États-Unis, il y a maintenant un appel croissant pour une réforme de la police nationale. Boubout en voit le besoin. « En fait, il y a moins besoin de policiers armés aux États-Unis », dit-il. « Aujourd’hui, presque tous les agents sont « satisfaits de la gâchette ». On leur apprend que tous ceux qu’ils rencontrent sont potentiellement dangereux. D’autres institutions devraient être mises en place pour intervenir sans armes dans les conflits, comme une police de la circulation ou de quartier. Ensuite, les agents armés ne devraient pas avoir à intervenir pour des tâches qui ne sont pas les leurs.

Autre problème auquel il faut s’attaquer aux États-Unis, il évoque l’habitude des procureurs locaux et des commissaires de police – souvent élus – d’exiger des chiffres de leurs officiers. « Un agent armé est constamment sous pression pour arrêter un certain nombre d’interpellés par mois, devoir percevoir une somme par mois,… Obtenir les statistiques pour garder son emploi ou obtenir une promotion passe parfois avant le travail policier. »

Ce que Boubout aime aux États-Unis, c’est que la brutalité policière se termine toujours au tribunal après une plainte. « En Belgique, les agents ne comparaissent pas devant les tribunaux, alors que nous avons aussi des violences policières meurtrières. Je pense maintenant à Jozef Chovanec, une enquête qui a abouti à une poursuite extérieure. Il y a deux semaines, il y a eu un autre décès dans une cellule bruxelloise. Ces types de faits devraient par définition être jugés par un juge de fait.

Les caméras corporelles n’empêchent pas la violence

Les agents de Memphis étaient équipés de caméras corporelles. Ils ont fourni les preuves nécessaires qui peuvent être utilisées pour poursuivre les auteurs mais, contrairement à l’espoir, ils n’ont pas empêché la violence. Ce n’est pas la première fois.

Boubout : « C’est une sorte de mythe que les bodycams modifient les comportements. Des études ont montré qu’ils n’avaient aucun effet sur le comportement des citoyens et de la police.

Aux États-Unis, dit-il, ils ont l’avantage que la caméra corporelle doit être allumée dès que l’agent sort de la voiture, qui contient également une dashcam. « En Belgique, l’agent peut choisir quand activer la caméra corporelle, ce qui est injuste pour le citoyen. Vous ne voyez pas ce qui a précédé une phase contestée.



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