Les agriculteurs belges se joignent également cette semaine à la vague de protestation européenne. Le ton a été donné du côté wallon avec un embouteillage lundi, mais la volonté d’agir grandit également en Flandre. « Je n’exclus pas des situations comme celles de la France. »
«Je rêve de ce métier depuis que je suis petit», raconte Alexandre Wackers (26 ans). Maintenant qu’il dirige l’exploitation familiale à Gerpinnes, au sud de Charleroi, le réveil est trop souvent difficile. Il est difficile de vivre de ses porcs, de ses céréales et de ses pommes de terre, dit-il. « Travailler quatorze heures par jour pour gagner un maigre salaire mensuel de 1 000 euros, telle est ma réalité aujourd’hui. »
Sous toute la fierté du paysan se cache une personne tourmentée. C’est pourquoi il s’est rendu à Bruxelles aujourd’hui, dit-il. « L’Europe nous rend la tâche impossible. » Dans le quartier européen, autour de la place De Meeûs, lui et une vingtaine de concitoyens ont bloqué une rue secondaire, un amalgame de John Deere et de New Holland colore le paysage urbain gris de rouge, de vert et de bleu. « De toute façon, je resterai ici jusqu’à jeudi », déclare Wackers. Ensuite, une grande campagne est prévue, et ils attendent ici « cinq cents tracteurs ».
Leur piquet n’attire pas beaucoup l’attention pour le moment. En tout cas, pas comparé à la protestation d’un groupe de jeunes agriculteurs wallons de la région de Tournai. Une vingtaine d’entre eux ont réussi lundi à perturber l’heure de pointe matinale en provenance de Halle, bloquant l’entrée du ring de Bruxelles. Les actions coordonnées de la Fédération des Jeunes Agriculteurs (FJA), dont un important barrage au carrefour de Daussoulx, près de Namur, ont finalement provoqué un embouteillage dans le sud du pays.
Cette perturbation de la circulation risque de durer toute la semaine. Lundi soir, les agriculteurs flamands ont pris le relais, avec un blocage de l’A12 à Meise et des perturbations sur la R4 gantoise. Les actions flamandes bénéficiaient auparavant du soutien du Syndicat général des agriculteurs (ABS), mais désormais l’Union des agriculteurs s’y joint également. Mardi, l’organisation créera une chronique en direction de Merksplas et appelle à « répéter cette action partout en Flandre ».
La volonté d’agir est grande. Demain, à partir de 14 heures, le port de Zeebrugge sera bloqué pendant 36 heures. Mercredi, certaines entrées et sorties d’autoroutes en Flandre orientale et occidentale s’envaseront et jeudi – en plus de l’occupation de Bruxelles – une autre action sur le ring de Gand pourrait suivre.
Pas de successeur
La colère des agriculteurs surf sur une vague européenne. L’initiative allemande a été suivie de la Pologne à la Roumanie, de l’Espagne à l’Italie. En France, les agriculteurs français visent un blocus total de Paris, afin que personne ne puisse entrer ou sortir de la capitale française. Les réglementations européennes strictes, les nombreuses formalités administratives et la hausse des coûts sont le ciment qui lie les protestations, mais localement, d’autres accents sont mis en avant. Si l’azote est le principal enjeu en Flandre, les agriculteurs wallons ciblent l’accord commercial du Mercosur avec plusieurs pays d’Amérique du Sud. Depuis la France, la flamme s’est propagée à la Wallonie et maintenant la Flandre doit également souffrir.
« J’espère que nous n’aurons pas à en arriver aux situations françaises, mais je n’exclus pas cette possibilité », déclare Bart Dickens, producteur laitier d’Arendonk et leader de la branche belge du groupe radical Farmers Defence Force. Dimanche soir à Turnhout, il a donné l’ordre d’incendier une potence sur le marché, où se trouvent les partis de la coalition flamande N-VA, Open Vld et CD&V – et avec elle leur accord sur l’azote.
«On peut qualifier cela d’approche choquante, mais nous sommes furieux», déclare Dickens, agacé par la bonne nouvelle politique entourant l’accord flamand. « Il n’y a toujours pas de vision à long terme, aucun moyen de savoir si les coûts que vous engagez aujourd’hui seront encore rentables dans quelques années. Une fermeture de mon entreprise reste un scénario réaliste. Même si c’est l’œuvre de toute une vie, celle de mes parents également.»
C’est également l’essence de la protestation de Mark Wulfrancke, responsable politique de l’ABS : « Il s’agit de notre survie. Le nouveau décret n’a pas levé l’incertitude, et les agriculteurs voient également ce qui arrive encore d’Europe dans le secteur. Tout le monde a la volonté de rendre l’industrie plus durable, mais l’entrepreneuriat doit également être durable.
Le nouveau rapport sur l’agriculture, présenté lundi par la ministre Jo Brouns (CD&V) à Kinrooi, décrit déjà un secteur avec de plus en plus d’abandons. Il existe aujourd’hui environ 22.500 entreprises agricoles et horticoles en Flandre, soit une diminution de plus de 10 pour cent par rapport à 2012.
Tandis que l’horticulture sous serre enregistre des chiffres retentissants, ceux de l’agriculture deviennent rouge sang. Parmi les élevages bovins, le bénéfice net d’exploitation moyen – primes comprises – a été négatif chaque année au cours de la dernière décennie. Durant cette période, les agriculteurs gagnaient en moyenne près d’un tiers de moins que les salariés flamands.
Seuls 13 pour cent des chefs d’entreprise flamands de plus de 50 ans ont une perspective de successeur, surtout les petits agriculteurs qui se grattent la tête. Il n’en va pas autrement en Wallonie. « Beaucoup de nos parents ne voulaient en fait pas que nous suivions leurs traces », explique Axel Yperzielle (25 ans), qui restera à Bruxelles jusqu’à ce qu’il se sente entendu. « Je ne veux pas être le point final de quelque chose qui a été transmis de génération en génération. »
Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) recevra mardi soir des groupes d’intérêt d’agriculteurs, en présence du ministre fédéral de l’Agriculture David Clarinval (MR). Jo Brouns, qui a été confronté à environ quatre-vingts agriculteurs à Kinrooi, s’est également montré compréhensif dans le Journal de la VRT face à « l’appel à l’aide » des agriculteurs. « On a l’impression que le chariot est surchargé et qu’il menace de s’effondrer. »