Admettre l’Ukraine ferait avancer le rêve de la France d’une UE plus affirmée


La visite conjointe à Kyiv des dirigeants français, allemand, italien et roumain a marqué un tournant. Auparavant, la question de savoir si l’Ukraine obtiendrait le statut de candidat à l’UE était ouverte. C’est maintenant le résultat probable, renforcé par la recommandation de la Commission européenne en faveur de la candidature le lendemain.

Pour les trois Européens de l’Ouest, qui ont parfois été en désaccord avec leur homologue ukrainien Volodymyr Zelenskyy pour avoir semblé trop impartiaux dans leur réponse à la guerre, le voyage était une sorte de rédemption. Le président français Emmanuel Macron, en particulier, aurait été insensé de venir si ce n’était que pour continuer à tergiverser sur le statut de candidat que Zelenskyy exhorte l’UE à accorder.

Mais plus grande que n’importe quelle erreur diplomatique serait l’erreur géopolitique plus profonde consistant à refuser le statut de candidature.

Dans les mois qui ont suivi le dépôt de la demande d’adhésion de l’Ukraine, quelques jours après le début de la guerre, une série d’appréhensions ont été exprimées. Le statut de candidat n’est que symbolique. Le chemin vers l’adhésion effective est long et tortueux. L’UE serait dysfonctionnelle avec plus de membres, sa gouvernance doit donc être réformée avant d’en admettre de nouveaux.

L’argument selon lequel il est peu probable que l’UE laisse l’Ukraine devenir membre à la fin, il serait donc cruel et imprudent d’accorder de faux espoirs, est l’objection la plus cynique à la candidature. Mais tout cela est autant de faux-fuyants.

Le processus d’admission et les procédures de prise de décision de l’UE doivent en effet être rendus plus efficaces, mais ce n’est pas une raison pour ne pas accorder la candidature. Au contraire, le lancement de pourparlers d’adhésion avec l’Ukraine est le meilleur moyen pour l’UE de s’atteler à résoudre ces problèmes. Et si le statut de candidat n’est vraiment que symbolique, l’accorder est gratuit et le refuser ne ferait qu’exposer la pusillanimité de l’UE.

Au cœur du débat sur la candidature de l’Ukraine se trouve une différence d’attitudes. Dans un monde turbulent, l’objectif de l’UE devrait-il être d’isoler les Européens des problèmes à leurs frontières ou plus loin ? Ou est-ce d’utiliser les pouvoirs dont dispose le bloc pour transformer ces problèmes en quelque chose de plus favorable ?

Cette tension entre l’insularité et l’engagement, ou entre l’adaptation ou l’influence d’un ordre mondial en mutation, atteint son paroxysme avec la question de savoir quoi faire à propos de l’Ukraine.

La position de la France en est la clé. Macron a toujours plaidé pour une UE plus active pour façonner le monde qui l’entoure. Mais il s’inscrit dans la tradition française de présupposer que la puissance externe vient d’une plus grande cohérence interne. L’establishment politique français a eu tendance à pousser à l’approfondissement de la coopération européenne plutôt qu’à son élargissement à davantage de pays. Elle a toujours considéré ce dernier comme un obstacle à l’amplification de sa propre influence en tant que puissance moyenne en la projetant à travers l’UE.

D’où une insistance — dernièrement dans Discours de Macron à Strasbourg le mois dernier – sur le dépassement du droit de veto pour prendre des décisions plus rapidement. Macron a également appelé à une “communauté politique européenne” plus large pour ceux qui ne sont pas encore prêts pour l’adhésion à l’UE ou qui ne le seront jamais. Dans le cas de l’Ukraine ainsi que des Balkans occidentaux, les responsables français sont prompts à suggérer qu’une UE avec encore plus de membres qu’aujourd’hui serait lourde au point de paralysie.

Mais la guerre de Poutine contre l’Ukraine rend cette perspective intenable. Non pas parce que le risque de lourdeur n’est pas réel. Mais parce que si l’objectif est d’inciter d’autres pays à adopter le mode de vie européen et de limiter le pouvoir de ceux qui le saperaient, rien ne fait plus avancer cet objectif que de lier irréversiblement l’Ukraine au système de règles européen. Il n’y a jamais eu de meilleure opportunité pour cela, et il n’y en aura jamais.

La commission note que l’Ukraine a déjà adopté des pans entiers des règles de l’UE. Les nombreuses questions de Bruxelles sur la candidature ont reçu une réponse en un temps record, même sous la pression de la guerre. La société civile ukrainienne pro-occidentale veut utiliser le statut de candidat pour faire pression sur les politiciens pour plus de réformes.

En d’autres termes, il s’agit d’un cas où une véritable poussée en faveur de l’élargissement renforcerait plutôt qu’elle ne menacerait l’objectif français d’une UE plus affirmée. La tension entre les moyens et les fins dans la pensée française est toujours là, mais la visite de Macron à Kyiv en est peut-être au moins une reconnaissance. Parallèlement aux demandes de réformes supplémentaires incluses dans le verdict de la commission, cela pourrait donner à d’autres États membres sceptiques une couverture pour parvenir à la même reconnaissance. Si tel était le cas, ce serait une belle conclusion au dernier sommet de la présidence française de l’UE.

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