Adieu à Eugenio Scalfari, innovateur du journalisme et champion de la culture laïque

Le partenariat avec Malagodi ne durera pas longtemps : les gauchistes du parti, qui avaient favorisé son élection, seront bientôt déçus, ils décideront de quitter le Pli et donneront vie à un nouveau parti, le radical, pour donner la parole à les positions de la gauche démocrate et libérale qui ont tenté d’ouvrir une brèche dans l’emprise représentée par la force prépondérante de la DC et du PCI. Dans les années 60, Scalfari sera également député socialiste, ce qui ne l’empêchera pas, par la suite, de lancer une opposition très dure à Craxi. Lorsqu’en 1976, année de la fondation du journal, les élections politiques virent la défaite des laïcs et le succès de la DC, Scalfari n’hésita donc pas à accuser les laïcs de n’avoir jamais « interprété sérieusement et rigoureusement des idéaux profonds, mais simples et intérêts médiocres ».

Le « Parti de la République »

L’accusation est certes peu généreuse, mais elle dénonce l’échec de ces positions idéales auxquelles Scalfari lui-même s’était formé, qui se sont révélées incapables de construire une alternative de gouvernement (et, peut-être, pour Scalfari, aussi de style) au pouvoir chrétien-démocrate. De là, naîtra l’ouverture d’importants crédits au PCI berlinguérien. Scalfari restera l’un des protagonistes de ce monde, de cette ambition et des tentatives répétées de construire une présence laïque autoritaire. Homme politique autant que journaliste, Scalfari n’assurera jamais une information aseptique et hypocritement « équilibrée », mais donnera vie à ce qu’on appellera même un parti, le parti « Repubblica ».

Comme Montanelli, la grande expression antagoniste de la culture libérale-conservatrice, Scalfari s’accepte ou se rejette ; sans pouvoir nier pour autant l’extraordinaire flair journalistique, la capacité à construire une communauté soudée qui est bien plus qu’un simple public de lecteurs, à orienter le débat, à faire fortune ou à marquer le destin de tel ou tel homme politique .

Protagoniste de la culture laïque

Une position ainsi exposée ne met naturellement pas Scalfari à l’abri des critiques dictées par son ambition de faire de l’information un puissant outil de formation de l’opinion publique ; et ses dernières réflexions de nature philosophique se réfèrent également à l’ascendance rationaliste et des Lumières à laquelle Scalfari, avec des résultats discutables mais avec une passion, un professionnalisme et une intelligence incontestables, a tenté de rester fidèle tout au long de sa vie.

Le salut à Scalfari est donc un hommage non seulement à un protagoniste de la culture italienne, mais à une culture laïque, qui est restée substantiellement minoritaire (également pour de nombreuses erreurs commises, à partir d’une certaine arrogance intellectuelle), dont l’affirmation aurait pu contribuer à construire une Italie plus européenne.



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