Actrice et chanteuse ratée, elle est devenue styliste « par nécessité ». La passion pour la fourrure (et la mondanité) a fait de son atelier le plus fréquenté par les divas pour les grandes occasions, comme l’inauguration de la Scala


Nones années du miracle italien, de la guerre maintenant à épaules, de plaisirs retrouvés et de bien-être exhibé, les dames aux patronymes ronflants ou à l’élégance renommée se rendaient des mois à l’avance chez lui. Via l’atelier de Montenapoleone. Ils ont reçu un accueil olfactif décidément particulier, un parfum sucré qui venait des cuisines de la pâtisserie Cova qui donnent encore sur cette cour, et ont atteint le styliste Jole Veneziani, la reine de la fourrure la plus admirée lors d’occasions socialesinauguration de la Scala in primis.

Une image de l’exposition « Jole Veneziani – Haute couture et société » qui s’est tenue à la Villa Necchi en 2013. (Photo par Pier Marco Tacca/Getty Images)

Jolanda Anna Maria Veneziani était né à Leporano, Tarente, en 1901, le dernier de dix enfants de deux parents au centre d’une intense activité culturelle. Encore enfant, elle s’installe à Milan, et avec elle son frère Carlo qui deviendra un dramaturge apprécié : il est l’auteur de Alguele spectacle de 1925 dans lequel une très jeune Paola Borboni aux seins nus récitait la première scène de nu du théâtre italien.

Jole elle-même est attirée par la scène et interprète et chante sous le nom de scène Yvonne Randall, mais la mort de son père l’oblige à dépoussiérer son diplôme de comptable et à devenir chef comptable d’une importante société française spécialisée dans les pelleteries. Une épiphanie : en plus de savoir s’emparer des matières les plus nobles, dribbler avec courage les épreuves imposées par la Seconde Guerre mondiale, il comprend qu’il sait les transformer en vêtements féminins, contemporains, désirables.

Les défilés de mode au Palazzo Pitti

C’est une jeune femme enthousiaste, passionnée, animée d’une énergie inépuisable : « Si je dois faire quelque chose, je le fais tout de suite. Pour moi le mot demain n’existe pas». C’est dans cet esprit qu’après la guerre, il ouvre son atelier destiné à devenir l’un des les entreprises les plus représentatives de la mode made in Italy qui fait ses débuts à Florence, en 1951, grâce à la brillante intuition de Cavalier Giorgini de présenter les créations de quelques stylistes italiens à des acheteurs américains, inaugurant ainsi la tradition des défilés du Palazzo Pitti.

Ses fourrures ont coupes audacieuses pour les années 50 et 60et les clients font tout pour mettre la main sur sur les vêtements en astrakan, chinchilla, léopard, zibeline de Veneziani. Parmi eux se détachent grand des stars de cinéma comme Marlène Dietrich ou chanter comme Maria Callas (qui reste cependant fidèle à Biki pour son vestiaire en tissu) e la rivale historique Renata Tebaldi qui pourtant, selon la créatrice, était « trop monumentale » : elle ne parlait jamais de mal de personne, pas même de ses collègues, mais de temps en temps une plaisanterie s’échappait et si certaines clientes étaient particulièrement capricieuses, elle prévenait les couturières « Soyez attention, c’est un carognino ! ».

Jole Veneziani dessinant une esquisse dans son atelier à la fin des années 1950.

«Je me fiche de la mode. Quand une de mes clientes arrive et me demande ce qui est utilisé, je réponds piqué que ça ne devrait pas l’intéresser et qu’elle devrait seulement essayer de mettre une robe qui correspond à sa personnalité » a-t-elle déclaré à la presse qui voulait raconter son phénomène. Elle-même est un personnage capable d’attirer l’attention: petite mais voyante, toujours vêtue de couleurs pastel, verres décorés ce qui lui permit de transformer le remède contre une forte myopie en un jeu charmant, ses mains potelées pleines de pierres précieuses, sa bouche et ses ongles écarlates, ses cheveux blancs.

Le premier de la Scala

Maria Pezzi, l’inoubliable doyenne du journalisme de mode, a très bien connu la créatrice aussi dans la vie privée : « C’était une femme très vive, elle aimait être en public, se faire remarquer. Il aimait les bijoux, les lunettes excentriques. Et il parlait beaucoup, il parlait toujours ! Au contraire, il était très taciturne son mari Renzo Aragone, ancien officier de cavalerie. C’était un très grand et bel homme aux manières élégantes. Couple très uni, ils ne furent séparés que par sa mort en 1972. Ils aimaient passer la vacances dans leur maison à Portofino. Et ils avaient beaucoup de vie mondaine, Jole était toujours présente aux vernissages de La Scala : elle n’en manquait jamais un !»
C’est Pezzi qui l’a surnommée « la patte de velours »: « Pour l’étonnement de voir ces mains », se souvient le journaliste, « toucher, caresser, effleurer le grain de peaux prodigieuses, non seulement avec une compétence incomparable mais presque avec un plaisir sensuel ».

Un défilé de mode des créations de Jole Veneziani dans la Sala Bianca du Palazzo Pitti, en 1964.

Et c’est toujours Maria Pezzi, en 1963, qui traîne chez Pitti son ami Dino Buzzati qui, étourdi par tant de beauté, écrira sur le Corriere della Sera: « Jole Veneziani a dégainé le drapeau, surtout celui cher aux femmes. Dès le départ apparaît la bannière fatidique, but de mille rêves, emblème classique de la victoire sociale, de la solidité économique, du luxe, de la douceur de vivre : sa majesté le vison».

Une âme de pionnière, d’innovatrice palpite en elle : elle ose la fourrure aux couleurs vives, aventuré déjà en 1967 la fourrure pour hommes, travailler des cordons de fourrure pour imiter la texture du tweed, expérimenter les fibres synthétiques. Il comprend qu’aux Etats-Unis le vêtement unique a peu de succès et crée la ligne de prêt-à-porter Veneziani Sport, de la maille et des vêtements adaptés à un quotidien toujours plus dynamique : le succès est immédiat, Les femmes américaines deviennent folles de son imperméable blanc et en faire le principal best-seller de l’hiver 1951-1952. Un triomphe commercial également récompensé par une reprise de la vie, qu’il n’en avait jamais dédié une à un créateur de mode.

Les tendances mode printemps-été 2023 issues des défilés

Une vision avant-gardiste

Conscient de la mise en place d’un système de mode entièrement italien, il contribue à la fondation de la Camera Nazionale della Moda Italiana et participe à des défilés de mode dans le monde entier. Au Salon de la fourrure de Francfort C’est le défilé de mode le plus attendu et il se termine toujours par une ovation. Ils lui demandent de concevoir l’intérieur de la nouvelle Giulietta Alfa Romeo. Pensant à un public féminin, elle renonce aux couleurs sombres utilisées jusqu’alors et choisit de le recouvrir de rose, expliquant malicieusement : « L’intérieur d’une voiture c’est comme un salon, tout peut lui arriver ! ».

Jole Veneziani sur le podium accompagne les mannequins qui portent ses créations sous les applaudissements.

Qu’il s’agissait d’une vision avant-gardiste a été confirmé par les nombreuses visites à l’exposition milanaise Jole Veneziani – Haute couture et société qui lui a été dédiée en 2013 à la Villa Necchi Campiglio. Une tâche facilitée par le respect avec lequel Federico Bano, directeur de la Fondation Bano et du prestigieux lieu d’exposition du Palazzo Zabarella à Padoue, a donné vie aux Archives vénitiennes en 2007 : 15 000 pièces dont des vêtements, des dessins, des photographies, des articles, des films rigoureusement conservé et prêt à être étudié et admiré. Bano était un collaborateur de Jole Veneziani depuis la seconde moitié des années 1970, un de ses amis personnels, ainsi que le directeur général de l’entreprise après l’avoir acquise en 1984, cinq ans avant la mort du créateur au début de 1989.

Un cénacle culturel

L’exposition a fait revivre une époque étincelante : les années de boom économique, d’un pays qui ressort d’un cauchemar et retrouve l’envie de parier sur l’avenir, l’envie de s’affirmer, mais aussi de s’amuser, de s’adonner à la plaisirs et légèreté que la guerre avait violemment anéantis. La bourgeoisie milanaise réunis dans son atelier non seulement pour rehausser son image avec successions millionnairesmais aussi pour discuter et tisser des relations : soucieux de sa famille si vivante sur le plan intellectuel, Jole aimait l’ambiance du cénacle culturel et le sien aurait accueilli belles conversations avec une grâce ancienne sur l’opéra et le théâtre, la politique et la littérature. La communication la passionne sous toutes ses formes, à tel point qu’elle contribue personnellement au lancement des émissions Rai à Milan et signe, « d’une main légère » comme elle aime à le souligner, chroniques mode et interviews pour Aujourd’hui, Marie-Claire et autres revues.

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Une nouvelle ère

Son aventure professionnelle a été marquée par les événements de l’histoire, et son déclin a également coïncidé avec un autre moment crucial de son temps. Les émeutes de soixante-huit avec lequel les jeunes entendaient opposer l’univers cristallisé et immobile du « vieux désireux » qu’ils trouvaient dans le soirée d’ouverture le 7 décembre une excellente et incontournable occasion de manifesterTomates pourries, œufs, cris et sifflets sont lancés sur les fourrures « della Jole » avec lesquelles les dames du beau monde entrent dans la Scala. Alors que la star de Jole Veneziani s’éteint, une nouvelle ère est née.

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