Abandonner la prudence et accepter le risque : la recette de la croissance pour le parti travailliste


L’auteur, contributeur au FT, est directeur général de la Royal Society of Arts et ancien économiste en chef de la Banque d’Angleterre.

Exactement un siècle après le premier mandat du parti, un gouvernement travailliste est arrivé au pouvoir avec l’une des plus grandes majorités parlementaires de l’histoire. Le parti travailliste a fait campagne sur le slogan « changement ». La première partie de ce changement radical – au niveau des personnes – est achevée. La deuxième partie, plus difficile et plus importante, nous attend désormais : un changement tout aussi radical des politiques du Royaume-Uni et, à terme, de ses perspectives.

La tâche est immense. Les défis économiques et sociaux sont redoutables, structurels et multiples : de la faible croissance à la mauvaise santé, du déclin des services publics à l’érosion de la confiance du public. Ces problèmes se sont développés pendant des décennies et il faudra au moins une décennie pour les résoudre. Les progrès dans ce domaine seront entravés par l’insuffisance des fonds publics. Si vous faisiez un pari (je vous le déconseille), les chances ne seraient pas en votre faveur.

L’ampleur de la majorité du parti travailliste est un atout. Mais ce mandat, bien que large, n’est pas particulièrement profond. Le basculement électoral sismique en faveur du parti travailliste depuis 2019 est en grande partie le résultat de l’autodestruction du parti conservateur. La confiance s’est accrue, mais la compréhension, et encore moins l’amour, du parti travailliste reste rare. Dans un monde où les liens politiques se fragilisent, la lune de miel du nouveau gouvernement avec l’opinion publique pourrait être de courte durée.

Malgré tous les discours sur le changement, le manifeste du Parti travailliste est l’un des plus minces et des plus centristes de son histoire. Il n’apporte que peu de nouveautés sur des questions aussi fondamentales que l’éducation et les compétences, la réforme des services publics et le financement des collectivités locales. Il passe largement sous silence la manière dont les hausses d’impôts et l’austérité peuvent être évitées sans enfreindre les règles budgétaires. Le pays exige une rupture radicale avec le passé. Le Parti travailliste, dans l’opposition, propose une mini-pause.

Ce n’est pas un défi nouveau. Près de dix ans après l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement travailliste, le réformateur social de gauche RH Tawney déplorait « la timidité intellectuelle, le conservatisme et le conformisme du parti, qui font que la politique traîne en arrière par rapport aux réalités ». Si les réalités de 1932 ne sont pas celles de 2024, elles n’en sont pas moins dures. Une réponse conventionnelle ou tardive à ces réalités serait une garantie d’échec.

Cela étant dit, il existe de bonnes raisons d’être modérément optimiste. Une rupture décisive avec le passé est possible si le nouveau gouvernement joue judicieusement ses cartes politiques. Les cartes qui lui sont distribuées ne sont pas toutes mauvaises. L’économie britannique se redresse enfin, quoique lentement, avec une inflation conforme à l’objectif, des salaires réels en hausse de 2 à 3 % et des coûts d’emprunt qui devraient baisser au second semestre de l’année. La sous-performance économique du pays par le passé signifie qu’il existe un bon potentiel de réserve pour l’avenir. Les actifs britanniques, bon marché au début de cette année, ont gagné du terrain par anticipation.

Ce retour des capitaux est stimulé par les investisseurs internationaux. Après des années de turbulences, le Royaume-Uni ressemble désormais à une mer de calme politique par rapport à la situation outre-Manche et outre-Atlantique. La prime de risque politique sur les actifs britanniques, trop élevée depuis trop longtemps, se réduit et l’attrait du pays comme destination d’investissement augmente. Sir Keir Starmer pourrait bien se révéler un général chanceux.

Mais la chance finira par tourner et la lune de miel s’évanouira. Pour insuffler durablement du dynamisme à l’économie britannique, il faudra un changement radical de culture au sein du gouvernement et du secteur privé. A l’heure actuelle, ces deux secteurs sont en proie à l’aversion au risque et à sa vilaine sœur, le sous-investissement. La prudence qui a propulsé le Parti travailliste au pouvoir est à l’opposé de ce dont le gouvernement aura besoin pour promouvoir la croissance et améliorer les services publics.

Ce changement de culture, du sécuritaire au dynamisme, commence par le parti travailliste lui-même. Les conservateurs étant décimés, l’opposition officieuse de Starmer se trouvera désormais derrière lui plutôt que devant lui à Westminster. Il est temps de desserrer l’emprise centralisatrice, en ajoutant quelques Cavaliers d’arrière-ban à un cabinet composé en grande partie de Roundheads. Cela permettrait d’avoir un leadership plus innovant et plus dynamique et, après la lune de miel, un parti plus résilient.

Cette volonté de desserrer son emprise centralisatrice s’applique tout autant aux régions et aux nations du Royaume-Uni. Leur potentiel ne sera libéré que si les pouvoirs locaux sont libérés. Le Parti travailliste s’est engagé à donner cette possibilité aux dirigeants locaux. Mais il existe un risque qu’ils soient traités comme les bras armés de missions définies par le gouvernement central plutôt que comme les maîtres de leur propre destin. Il faut résister à cette tentation : elle affaiblirait le dynamisme local essentiel à la croissance du Royaume-Uni.

Le dynamisme a également fait défaut dans le secteur public, dont la productivité a stagné et le moral est au plus bas. Tous les gouvernements arrivent au pouvoir en promettant une réforme de la fonction publique et des améliorations de la productivité. Celui-ci présente le double avantage d’être à la fois une nécessité pratique (compte tenu de décennies de déclin et d’un budget public serré) et une opportunité générationnelle (compte tenu des possibilités de transformation de l’IA).

Une réinvention de la prestation de services publics par l’IA est possible dès le début du mandat d’un nouveau gouvernement. Des mesures positives ont déjà été prises avec le NHS dans le dernier budget. Dans tous les domaines, des écoles aux tribunaux en passant par l’urbanisme, les nouvelles technologies peuvent permettre de réaliser d’importantes économies et d’importantes améliorations de la qualité. Le Royaume-Uni devrait aspirer à être le leader mondial non pas en matière de réglementation de l’IA, mais dans son application commerciale, à commencer par le secteur public.

En complément de ce qui concerne le secteur privé, le nouveau gouvernement doit apporter à la stratégie industrielle le soutien sans réserve et généreux que Joe Biden a apporté aux États-Unis. Cela signifie agir en tant qu’investisseur stratégique en capital-risque dans les secteurs et technologies véritablement pionniers du Royaume-Uni, qui sont nombreux. Cela nécessite un changement radical dans les pratiques du Trésor, en modifiant sa culture de priorité budgétaire et en démantelant son Livre vert défectueux.

Les réglementations réglementaires devraient suivre le mouvement. L’armée grandissante de régulateurs britanniques, bien que individuellement bien intentionnée, est devenue un fléau collectif pour l’innovation du secteur privé, privilégiant la prévention des risques au détriment du dynamisme. Une commission royale indépendante est nécessaire pour réévaluer les objectifs statutaires et la culture des régulateurs afin de les rendre favorables à la croissance, au risque et à l’innovation.

En matière de construction de logements, le Royaume-Uni doit revenir aux années 1960, époque de planification spatiale active axée sur le logement social. Après un demi-siècle de sous-investissement, le moyen le plus rapide d’y parvenir est de céder des terrains publics à des sociétés de développement du secteur privé, avec un mandat clair en matière de domaine public et un régime de planification publique distinct et permissif. Cela pourrait annoncer une nouvelle révolution du logement « social ».

Quant au financement de tout cela, la bonne nouvelle est que le monde regorge d’argent, dont une grande partie est patiente. Trop peu, à l’heure actuelle, parvient au-delà du Triangle d’or, qui s’étend entre Londres, Oxford et Cambridge, et vers les secteurs frontaliers du Royaume-Uni. À condition qu’il soit ciblé vers les bons secteurs et les bons endroits, soutenu par une stratégie industrielle active, le nouveau Fonds national de richesse proposé par le Parti travailliste pourrait combler le déficit de financement auquel les entreprises britanniques sont confrontées depuis un siècle.

Le changement n’est pas toujours positif, mais rien ne s’est jamais amélioré sans lui. Les critiques de Tawney à l’égard du Parti travailliste par le passé devraient stimuler le parti à l’avenir. Adopter activement le risque et les réformes est la seule voie pour stimuler durablement la croissance britannique. C’est donc, au contraire, la voie la moins risquée. Ainsi équipé, je suis plutôt optimiste quant à la capacité de Starmer à apporter les améliorations importantes et durables qui ont échappé à la plupart des premiers ministres britanniques au cours du siècle dernier.



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