À à un moment donné tu lis : « C’est incroyable quantité de douleur que nous pouvons supporter. Quiconque a vécu une séparation le sait. » Et puis tu penses que les autres, non, ils ne le sauront pas. Que c’est un livre réservé à certains, c’est-à-dire une énième histoire de deux qui se séparent. Vous le pensez mais au final voilà le miracle : vous découvrez qu’on parle de douleur – immense et précise – mais seulement pour parler d’autre chose. De l’amour et de nous tous. Les dix étapes des adieux par Luigi Nacciécrivain, enseignante et guide environnementale, c’est une merveilleuse déclaration d’amour. Ou plutôt que les amours qu’on accumule. Et tandis que notre âme peut les accueillir à l’infini, nous devenons autre chose. Autrement dit, la personne dont quelqu’un est tombé amoureux n’est plus là. Petit livre dense, à la première personne. Ton poétique et nécessaire : le seul à survivre aux adieux aux vivants.

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Le protagoniste quitte sa femme au bout de dix ans, peu de temps après être tombé amoureux de quelqu’un d’autre. Est-ce autobiographique ?
Il y a tellement de ma douleur et je l’ai écrit parce que sinon je deviendrais fou. Mais, comme l’écrit Svevo, chaque autobiographie appartient à tout le monde.

C’est-à-dire?
Quelques jours après la sortie du livre, j’avais déjà reçu des dizaines de messages d’inconnus qui l’avaient lu deux fois et me remerciaient, même d’avoir pleuré. Lorsque j’accompagne les gens dans les bois, je rencontre souvent ceux qui vivent des moments de transition comme des séparations, des maladies : je crois que nous sommes dévastés par la solitude.

Luigi Nacci, originaire de Trieste, est poète, écrivain, journaliste et guide environnemental. Engagé à maintenir ensemble les parties sédentaires et nomades, dans la vie comme au travail, il aime « sortir des sentiers battus ».

Ce livre parle de dix choses faites avant de dire au revoir : une sorte de via amoris par étapes. « Se forcer à se souvenir de tout » correspond à la troisième et pour l’expliquer vous utilisez l’image du « géant marchant dans les bois ».
Oui, le protagoniste découvre qu’il ne veut pas faire tomber dans l’oubli cet amour fini qu’il compare à un géant. Elle sent qu’elle veut le garder en vie : sa façon de lui apporter à manger est d’écrire.

«J’écris jour et nuit. Je ne me donne pas la paix », lit-on. Mais qui n’écrit pas, quelle thérapie a-t-il ?
James Hillman dit dans The Soul Code que chacun de nous a un « gland ». Autrement dit, une vocation. Chasser les nôtres nous aide à trouver un sens et à guérir. J’ai écrit pour me guérir mais aussi pour préserver la « grande beauté ». En sauvant quelque chose d’une histoire, on sauve une partie de nous qui est aussi constituée de belles choses.

Cependant, il y a ceux qui tentent de tout effacer : ce n’est qu’ainsi, dit-il, qu’il pourra reconstruire sa vie.
Je ne sais pas, mais quand j’ai écrit, j’ai pleuré et souri. À la douleur s’ajoute la joie de se souvenir : c’est ce à quoi nous devons tendre. La protagoniste dit à un moment donné qu’elle a répondu à l’ex qui l’interrogeait sur son nouvel amour : « en l’aimant, je t’aime davantage ». Je sais que ce n’est pas facile.

Les dix étapes des adieux de Luigi Nacci, Einaudi128 pages, 16 €

Non, les gens se séparent de plus en plus mais ils ne savent pas comment gérer la douleur.
Presque tous mes élèves ont des parents séparés. C’est une condition aussi répandue que l’analphabétisme sentimental. Nous vivons dans la culpabilité, ceux qui l’ont et ceux qui ne l’ont pas. Mais ça ne sert à rien. Le livre parle de la beauté qui reste et de ce que nous ignorons des autres. Beaucoup de personnes abandonnées m’écrivent qu’en le lisant, elles ont compris qui les a abandonnées.

Qui sont les « marginaux » dont parle le protagoniste ?
Ceux qui vivent en marge d’une société qui nous veut toujours au centre. Ce sont les séparés, les fragiles. C’est nous quand nous n’avons pas l’impression de devoir porter un masque. Nous devons apprendre à rester dans le sentiment de notre échec sans avoir honte car c’est bien. Vous vous sentez accepté, vous découvrez que vous êtes gentil avec tout le monde et votre fragilité devient une ouverture pour ceux qui partagent la leur.

«La quatrième étape : rédiger tous les catalogues, puis les brûler. Le catalogue des si n’est pas le plus difficile. Le catalogue des larmes est dur. Combien de types de larmes y a-t-il dans une histoire qui se termine ? », lit-on. Et ainsi de suite avec les listes d’anciens messages d’amour, de câlins, de cris. Celui avec les cartons dans la maison. Un tourment.
Rester dans la même maison quand elle part est terrible. Mais sur la liste des douleurs, ce n’est pas la pire. Ce qui signifie plutôt « savoir que nous ne vieillirons pas ensemble ».

La menace des souvenirs passés ne suffit pas, même celle du futur : pour ceux qui sont séparés, il n’y a pas d’échappatoire.
Elle est là mais elle ne s’accompagne que de l’acceptation d’une double perte : de l’autre moitié du couple et d’une partie de soi. Mais les bons souvenirs restent.

Et, selon le livre, aussi beaucoup d’amour. Mais alors pourquoi on se quitte ?
Parce que les histoires se terminent mais pas l’amour. Après tout, on ne sait pas comment ça commence, il est impossible de dire que ça va se terminer.

Sommes-nous créateurs ou victimes de la fin ?
Nous sommes des gens qui changent alors que notre partenaire ne le remarque pas et dit un jour : je ne te reconnais plus. Au revoir! Il doit célébrer le changement avec nous, nous aider à l’explorer, dire « Je t’aime même si je ne sais pas ce que tu deviens ». Et au contraire, il arrive que beaucoup persistent à rechercher l’image primordiale de l’époque où ils sont tombés amoureux.

Et on se perd.
Oui, à ce moment-là, vous devriez simplement dire au revoir en douceur. Les sentiments ont besoin de lenteur, nous avons besoin de douceur.

Le protagoniste raconte avoir rencontré trois personnes heureuses ensemble : deux femmes et un homme. L’une était son ex-femme, l’autre sa compagne.
Nous sommes faits pour aimer de nombreuses créatures et chérir des amours différents. Mais nous ne l’acceptons pas. Savez-vous qui sont les premiers à ne pas y croire ? Nous sommes.

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