A la mort de la marquise de Barolo en 1864, elle eut le temps de mettre au point un dernier projet ambitieux: ramener des revenus aux vastes propriétés des Langhe et du Monferrato, "changer de direction" à un vin, Barolo


325 cdes camions transportant 325 tonneaux de vin défilent dans les rues de Turin, en direction du Palais Royal, destiné au roi de Savoie Carlo Alberto, pour satisfaire sa curiosité et étancher sa soif et celle de la cour tous les jours de l’année, sauf le Carême. En signant cette légendaire opération de commercialisation du rouge piémontais – si célèbre parmi les professionnels qu’elle a été reproduite en 2015, avec le départ de 325 bouteilles de Barolo à destination de Strasbourg, siège de nombreuses institutions européennes – Juliette, née Colbert, devient marquise Falletti de Barolo par son mariage. Très pieuse et fièrement vendéenne, ouverte aux enjeux sociaux au point de rejoindre le rang des saints, comme Don Bosco, qui anima un siècle de vie turinoise, elle traversa le XIXe siècle en incarnant fécondement ses contradictions.

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Juliette Colbert Faletti, marquise de Barolo

En fait, les mœurs et les époques de l’Ancien Régime ont façonné son destin de jeune fille : lointainement apparentée au Colbert chargé des finances de Louis XIV, elle est née en 1786 au château de Maulévrier, en Vendée auquel elle ne cesse de s’identifier. , moteur et symbole de la farouche opposition à la Révolution française. Extrêmement riche et influente, la famille fut décimée par les morts et les confiscations en 1789 et quitta la France. Il suffit cependant à Napoléon Bonaparte de promulguer l’amnistie des nobles en 1802 pour qu’il récupère une grande partie de ses biens et de son rang : Juliette, 18 ans, fait partie des dames d’honneur de Giuseppina Beauharnaisla première épouse du futur empereur.

Et à la cour, où gravitent également les nobles piémontais de l’État de Savoie – transformé par la Révolution en province au-delà des Alpes de France – elle rencontre son futur époux, le page impérial Carlo Tancredi Falletti. Lui aussi est l’héritier d’une des familles les plus riches d’Europe et a quatre ans de plus qu’elle. Le mariage en 1807pollinisateurs et témoins de l’empereur et de l’impératrice, unit deux personnes partageant les mêmes idées. En partie à Paris à la cour, en partie à Turin, s’occupant également des nombreux intérêts des Langhe et du Monferrato, Tancredi et Giulia, jeunes et sans enfants, s’installent en Italie et en Europe, s’occupant de l’art, partageant la passion du design et celle du questions sociales, notamment en matière de lutte contre la pauvreté, d’éducation et de prisons. C’est précisément à travers les voyages qu’ils tissent un réseau de contacts avec ceux qui promeuvent des initiatives d’avant-garde dans ces domaines, qui constituent la base de leur vaste activité de promotion sociale.

Le premier directeur des prisons

Déjà en 1814, lorsque, avec l’exil de Napoléon et le retour des Savoie à Turin, le couple Falletti s’installa définitivement dans le palais familial via delle Orfane, Juliette, aujourd’hui Giulia, rencontra la pauvreté de la ville. La capitale savoyarde ne peut offrir des conditions de vie dignes aux nombreuses personnes défavorisées arrivant des campagnes et le durcissement des lois contre les vagabonds et les petits délinquants encombrent les prisons. Même les femmes que Giulia rend visite dimanche à Albis, après avoir entendu le cri désespéré d’un prisonnier arrivant dans la rue. Alors il écrit dans Mémoires de prison, un de ses nombreux articles de journal : « Leur état de dégradation m’a causé de la douleur et de la honte. Ces pauvres femmes et moi étions de la même espèce, filles du même Père, elles aussi étaient une plante du Ciel, avaient eu un âge d’innocence et étaient appelées au même héritage céleste.

Cette prise de conscience la pousse à intervenir de manière continue et structurelle sur leurs conditions de vie. Elle est aidée par l’influence qu’exerce le prestige du nom Falletti sur la maison régnante, ainsi que par le caractère brillant et l’obstination tenace que lui attribuent ses contemporains. Il réalise son premier projet : transférer les détenus dans des locaux plus sains, leur apprendre à lire et à écrire, « apprendre le catéchisme et leur redonner de la dignité », note-t-il encore dans son journal. En 1821, par une dépêche ministérielle, il devient surintendant des prisons, un rôle inhabituel pour l’époque et encore plus exceptionnel dans un contexte politique nettement réactionnaire. Elle s’inspire du modèle Newgate de réforme des prisons londoniennes, réalisé par Elisabeth Frey, qu’elle a rencontrée au cours de ses voyages. Les détenus de trois établissements délabrés différents sont donc transférés dans le nouveau bâtiment mis à leur disposition.

Une crèche au rez-de-chaussée de la maison

Il s’agit du premier élément d’un plan ambitieux consacré à la promotion – ou, selon les mots de Giulia, à la rédemption – des femmes. En 1822, le Refuge ouvre à Borgo Dora, un foyer pour femmes repenties, anciennes prisonnières désireuses de travailler pour assurer une nouvelle vie. Suivent le Refuge, réplique de l’initiative maternelle, pour les filles de 14 ans et plus, et l’institution des Sœurs Pénitentes de l’Ordre de la Madeleine pour les femmes qui ne veulent pas quitter l’institut mais se consacrer à la vie religieuse. Au fil des années, et sur le même terrain, a été construit l’hôpital Santa Filomena pour filles pauvres et handicapées ; des couvents de religieuses et de laïcs oblats qui se consacrent à des projets caritatifs ; une école professionnelle de jour pour filles âgées de 10 à 18 ans. Les projets s’entremêlent avec ceux de son mari, qui devint en 1821 membre du conseil de gouvernement puis en 1825 1826 maire de Turin, s’occupant de l’urbanisme mais aussi de l’éducation – en particulier pour les élèves les plus pauvres, pour lesquels il créa des écoles d’art gratuites, pour leur ouvrir une carrière de artisans. Giulia et Tancredi apportent également une activité sociale à la maison en ouvrant les pièces. au rez-de-chaussée du Palazzo Barolo dans un jardin d’enfants modèle, pour les enfants des travailleurs que l’industrie naissante a laissés sans soins. Au rez-de-chaussée, quant à lui, dans un appartement modelé selon le style Empire, tout en or, colonnes et émaux rouges, où L’herme de Sappho de Canova et la collection d’art qui rassemble des objets anciens et des peintures de toutes les époques, les invités du salon littéraire le plus influent de la ville sont les bienvenus.

Au fil des années, les comtes De Maistre, Federico Sclopis et les frères Cavour y ont défilé, avec le jeune Camillo quelque peu épris de la marquise, des nonces papaux et des ambassadeurs. Un centre de lobbying, où Giulia mène ses initiatives caritatives en s’appuyant sur des nobles et des femmes nobles, dont l’épouse de Carlo Alberto, Maria Teresa. Cesare Balbo était également présent aux soirées de la maison Falletti, qui en 1832 présenta au couple Silvio Pellico, revenu de Spielberg. Il resta au Palais jusqu’à sa mort, uni à Giulia par une amitié très profonde, source de plus que quelques ragots, d’où sont nés presque des poèmes d’amour et la première biographie. La Marquise de Barolo née Colbert, libéré à titre posthume. En 1838, Tancredi, affaibli par les conséquences du choléra qui frappa Turin en 1835, mourut. A Chiari, dans une auberge où l’aggravation de son état arrête le couple en route pour le Tyrol. Cette mort, dans ces conditions, pour Giulia, qui hérite de tous les biens de son mari, est le signe que son dévouement envers les pauvres doit devenir encore plus décisif, pour payer, écrit-elle, « le privilège de ses ancêtres, payer les dettes ils ont contracté avec les exploités. De nouvelles écoles professionnelles pour filles sont nées, l’Opéra Pia Barolo s’installe à Borgo Dora. Bien que réduite, l’institution reste active dans le Turin du XXIe siècle, présidée pendant trois ans par le président de la Cour d’appel et pendant trois ans par l’archevêque, en signe de cette alliance entre trône (État) et autel d’où Giulia n’a jamais reculé.

L’invention du Barolo

A la mort de la marquise de Barolo en 1864, elle eut le temps de mettre au point un dernier projet ambitieux : restaurer les revenus des vastes propriétés des Langhe et du Monferrato, en « évoluant vers » un vin, le Barolo, qui était déjà connu comme vin doux et mousseux, puis à partir de 1838 avec la contribution de l’œnologue Louis (ou peut-être Pierre) Odart devint célèbre comme le roi des vins à apprécier en vieillissant. L’entreprise viticole n’est pas le seul trait qui lie la figure de Giulia, partagée entre élan social et nature conservatrice, au monde contemporain : en mai 2015, grâce à ses « vertus héroïques » charitables, elle a été proclamée Vénérable, un titre qui représente le premier échelon de l’échelle hiérarchique de sainteté. Trois ans plus tard, Tancredi le deviendra également.

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