A la ‘caisse’, la rapidité et l’efficacité ne sont pas les plus importantes pour une fois

« Je me demandais pourquoi tu étais si gentil. La succursale Jumbo de Balen n’est ouverte que depuis quelques jours, mais la part du lion des clients passe déjà rapidement devant les étagères avec des aliments secs et des produits ménagers le vendredi après-midi. Pour eux, le sprint vers le week-end est un exercice d’efficacité inutilement compliqué par la présence de consommateurs nomades et les longues attentes en caisse.

Paul Notelteirs7 juin 202213:25

Alors que ses collègues scannent à grande vitesse les courses sur le tapis roulant, la pression n’est pas si forte pour le caissier Bram De Vroede. Au-dessus de sa tête est suspendu un panneau jaune vif avec un visage souriant et un néologisme demandant de l’attention. L’homme a l’honneur de tenir la première ‘chat box’ belge. « Ici, les gens aiment raconter des histoires », nous confie la caissière, juste avant de demander au troisième consommateur d’affilée s’il est bien de Balen. Un homme d’une cinquantaine d’années lève les yeux avec surprise de son pack de six bières, grogne quelque chose d’inintelligible, puis agite sa carte bancaire dans les airs de manière démonstrative. Vous pouvez apprendre à converser.

Le chat desk est un produit d’importation. La chaîne de supermarchés néerlandaise Jumbo a conçu le concept en 2019 principalement comme un geste pour les clients qui ne peuvent pas manquer les conversations avec le personnel du magasin. Depuis que la crise du coronavirus a temporairement rendu les contacts interpersonnels suspects et que les livraisons à domicile sont devenues plus attractives, le chat desk est également un atout pour attirer les consommateurs vers le magasin. Aux Pays-Bas, il est donc prévu de déployer le concept dans 200 agences, et la Belgique ne peut pas non plus rester en retrait. Dans les textes de presse, Jumbo aime donc dépeindre le chat desk comme une sorte de phare de la civilisation dans une société de plus en plus individualiste. « Nous voulons contribuer à identifier et à réduire la solitude », explique le réalisateur belge de Jumbo Peter Isaac. L’accent est mis sur le rôle social qu’un supermarché peut jouer : après tout, chaque citoyen doit le visiter et recevoir un traitement égal.

En magasin, la plupart des consommateurs réagissent avec enthousiasme au concept. « Le monde devient de plus en plus indifférent. C’est pourquoi je trouve formidable que les enseignes osent prendre le temps d’écouter en détail les histoires de leurs clients », confie une courageuse octogénaire en se précipitant vers la sortie avec son caddie. Lorsqu’elle apprend qu’elle-même vient de payer à la caisse, elle marque une pause. Avec un froncement de sourcils, elle dit qu’elle a simplement rejoint la file d’attente la plus courte, mais que le concept peut certainement être utile pour «les personnes âgées». Le phénomène des « passants accidentels » se répète constamment au kiosque. C’est principalement parce que les clients ne font pas nécessairement la queue plus longtemps qu’ailleurs dans le magasin. « Il n’y a pas le temps de faire de longues histoires. Lorsqu’il y a une file d’attente à la caisse, les gens sentent aussi qu’ils peuvent mieux s’entendre », explique De Vroede. Les conversations bien intentionnées portent principalement sur l’aménagement du magasin, la météo et, bien, le bureau de discussion lui-même.

L’idée qui sous-tend le projet Jumbo est noble. En 2018, une étude de l’Université de Gand a mis en évidence que plus de la moitié des jeunes Belges se sentent seuls. Les fermetures ont aggravé cette situation et les personnes dans les centres de santé mentale attendent actuellement de l’aide depuis des mois. Le besoin est donc fort, mais il est fort douteux que les clients solitaires passant au comptoir aient le sentiment d’être entendus. Un caissier n’est pas un thérapeute et les contacts sont aussi fugaces que superficiels. De plus, il semble quelque peu dystopique pour une société commerciale de « vendre » des discussions spontanées à une caisse enregistreuse car elles se font plus rares ailleurs dans la société. « On ne peut pas lutter contre la solitude entre les cartons de lessive et les beignets à prix cassés, mais peut-être que ça peut rendre la société plus chaleureuse », soupire Thomas (38 ans). Et après avoir confirmé au caissier qu’il est bien de Balen, il aborde le week-end avec espoir.



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