A Bari, Lolita Lobosco fait vibrer les Louboutins vertigineux ; à Naples, Don Raffaele cherche la vérité dans un quartier qui a toujours été lié à l’au-delà. Deux écrivains italiens et des logos jaunes dans le Sud


LOlita Lobosco elle sait que l’eau vert émeraude qui coule entre Cozze et Polignano est « le seul élément capable de lui faire oublier les choses de sa vie qui ne marchent pas ». Raffaele, quant à lui, sait que le mieux est de laisser le chauffeur de taxi se déposer à l’entrée des Vierges, la seule entrée du quartier Sanità. Lolita est détective et aussi sexy que le talon de 12 cm de Louboutin dont il ne se sépare jamais et vit à Bari.Raffaele est un prêtre qui revient dans son quartier natal après quarante ans de vie romaine : on lui a confié sa basilique de Santa Maria della Sanità, et il retourne à Naples. Lui et Lolita ne se rencontreront jamais : ils vivent à l’intérieur de deux enquêtes et de deux livres différents. Elle est la commissaire de la série mystère (également débarquée à la télévision avec Luisa Ranieri et réalisée par Luca Miniero) écrite par Gabriella Genisi : terre rouge (Sonzogno) est le neuvième livre et traite de la mort d’une jeune femme d’affairesainsi qu’écologiste et militant pour les droits des travailleurs.

Don Raffaele, quant à lui, est l’un des deux frères séparés à la naissance mais un jour ils se retrouvent : l’un est prêtre, l’autre un homme de la Camorra, la reconnaissance vient après un meurtre. Le titre est Affaire de sang, un roman policier d’Anna Vera Viva (Garzanti). Énergique le rythme du premier, énergiquement prudent le second. Et ainsi pendant que Lolita interrompt ses vacances pour résoudre le mystérieux suicide du jeune Suni Digioia, nous entraîne avec des dialogues serrés et des hypothèses qui brillent au soleil de la ténacité. Le père Raffaele, en revanche, fait autre chose : il nous livre un regard qui marche sur les traces des souvenirsnous donne presque l’impression d’être des résidents du quartier.

Luisa Ranieri est Lolita Lobosco à la télévision

A ce stade, la question est légitime : qu’est-ce qu’un thriller né dans le hangar de la ferme des Pouilles Terrarossa peut avoir de commun avec celui qui prend la stura d’une homélie « risquée » suivie d’une rencontre avec Peppino, le patron qui fait-il montre pour rencontrer le nouveau curé? Beaucoup, c’est les lieux : ce sont eux les vrais protagonistes. Bari dans l’un, Naples dans l’autre.

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Nous sommes avec deux auteurs de romans policiers qui nous racontent le Sud d’un meurtre à l’autre, lequel en particulier ?
Gabriella Genissi Mon sud est magnifique, bien différent de l’image vue de dos d’autrefois. Le sud est désormais célèbre pour ses vins, son huile, une destination touristique je dirais grâce à Lolita à la télé. Dans le septième tome de la série j’ai essayé de déplacer Lolita à Padoue mais au milieu de l’histoire je l’ai fait revenir. Ce sont des livres qui se nourrissent du territoire, d’une Pouilles qui a une âme maritime et agricole, et cette dernière est contaminée par la pègre. En fait, Bari n’est pas un lieu oléographique et cette fois devient le décor d’une histoire d’embauche, une forme d’esclavage avec laquelle l’Italie coexiste.

Gabriella Genisi née à Mola di Bari Son personnage, Lolita Lobosco, également protagoniste d'une série télévisée, l'homologue féminin de l'inspecteur Montalbano.

Gabriella Genisi, écrivain, Milan, Italie, 2010. (Photo de Leonardo Cendamo / Getty Images)

Anna Vera Viva Le sud ici n’est pas Naples mais son ventre : le Rione Sanità, qui est un autre monde et que j’ai rencontré par hasard. J’avais vécu dans la ville pendant plus de vingt ans mais n’y étais jamais allé. Un de mes amis avait ouvert une pharmacie et j’ai donc décidé de lui rendre visite. C’était un coup de foudre. Je savais que ce quartier avait été un hôpital dans le passé mais ce que je ressentais devant la Basilique était très fort. J’ai entendu les prières adressées à Dieu par ces pestiférés, j’ai cherché les traces de cette transformation vécue par le service. Santé veut dire sain car c’est ainsi que ce lieu fut considéré pendant un temps, sa position le rendait convoité. Mais un jour ils construisent un pont et l’accès devient unique : la santé devient une île, plus aucun noble ne veut y aller vivre, il devient tellement isolé qu’ils le choisissent comme hôpital. Depuis, la mort commence à se stratifier : d’abord les catacombes chrétiennes, puis le cimetière de la Fontanelle, puis un lieu pour jeter les morts des émeutes. Ceux qui restent ici commencent à créer des légendes sur le culte des morts, compte tenu de la coexistence quotidienne. Ils commencent à adopter des crânes, qu’ils appellent capuzzelle, sorte de membre de la famille décédé à soigner, polir et protéger à l’intérieur des tabernacles. D’un endroit sain, il devient une immense carrière de millions de squelettes. Resté loin de la modernité et de la corruption, c’est, si l’on veut, le Naples de De Flippo et non celui de Saviano. Aujourd’hui, il est plein d’artistes, il est plus populaire, mais il a perdu la saveur ancienne que l’on retrouve dans le livre.

Vive Anna Vera © Roberto Della Noce

Anna Vera Viva, originaire du Salento, vit à Naples depuis 1982. Elle écrit depuis de nombreuses années et scénariste de docufilms et de courts métrages. © Roberto Della Noce

Avec les lieux c’est comme avec l’amour : le lien qui nous unit est unique, n’est-ce pas ?
JJ Celui avec Bari est lié à l’enchantement. J’aimais cette ville avec un émerveillement qui m’étourdissait. Je suis né ici mais, enfant, mes parents ont déménagé à vingt kilomètres. Ma mère enseignait et ayant des enfants en bas âge elle voulait se faire aider par ses grands-parents. J’ai toujours dit que personne ne devait vendre sa maison parce que j’y retournerais. Aujourd’hui j’habite à Mola, à dix minutes de Bari, la maison a été vendue. Écrire sur cette ville était un moyen de revenir en arrière. Ils sont reliés par une promenade métaphysique, avec une lumière presque sud-américaine : c’est l’endroit le plus aimé des habitants de Bari qui vont chercher leur âme dans les eaux au crépuscule.

Terrarossa de Gabriella Genisi, Sonzogno, pp.  208, 15 €

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AVOCAT Mon lien est le fruit d’une découverte. J’ai connu le rapport confidentiel que les résidents entretiennent avec la mort, la viscéralité de leurs relations, vivant sans faire attention aux hiérarchies et aux rôles, comme s’ils étaient perpétuellement sur le ring. Un peuple qui est capable d’adopter une personne décédée, l’appelant une âme de pezzentella parce que l’orphelin d’une personne vivante qui prend soin de lui, est fou. Il a une sensibilité qui m’a marqué à jamais. Je crois que les Napolitains ont voulu oublier cet ancien quartier hospitalier : on ne pouvait pas passer par hasard, c’était un cercle très fermé – aujourd’hui même pas un Chinois n’y habite alors qu’à Naples ils sont partout – et à l’entrée il y avait des sentinelles. Une fois à l’intérieur, cependant, vous n’avez subi aucune forme de violence.

A-t-elle déjà quitté ce Sud ?
JJ Jusqu’en janvier 2020 j’avais un petit appartement à louer à Paris où j’allais écrire à certaines périodes de l’année. Je pense que je serai de retour. C’est mon professeur de français au collège qui m’a appris à l’aimer et je pense que je l’aime vraiment. On se dit que si Paris avait la mer ce serait un petit Bari.

AVOCAT Je viens d’un autre Sud, je suis de Lecce et je me suis retrouvé à Naples par pur hasard. J’ai dû partir avec mon frère à Bologne pour commencer l’université lorsque le contrat pour l’appartement que nous avions loué est tombé la veille du départ. Mon frère est quand même parti, je suis allé chez une tante à moi, à Naples. J’étais triste, je venais du Salento, très ordonné, et je me suis retrouvé dans une ville compliquée qui vous imprègne de couleurs et de saveurs, difficile à aimer. Je ne devais rester qu’un an, plus de trente ans se sont écoulés et je suis ici, moi aussi j’ai épousé un Napolitain. Autant elle t’accueille et tu t’adaptes, autant tu ne peux pas devenir napolitaine : le point en ma faveur, cependant, c’est que je peux avoir un regard objectif, puisque la napolitaine l’aime et la déteste de manière pure, comme le fait un parent. En effet, je recommanderais également trois lieux insolites de la ville à ne pas manquer : les archives historiques de la Banco di Napoli, qui constituent la plus importante collection de documentation bancaire au monde. La Chartreuse de San Martino et le Palazzo degli Spiriti à Marechiaro di Posillipo.

Blood Matters par Anna Vera Viva, Garzanti, pp.  256, 16,90 €

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Les lieux peuvent être présents de plusieurs façons. Avec la langue, par exemple.
JJ Le mien est celui où il n’y a pas de place pour l’amour. Le quartier de Bari est incontournable, il a une âme commerciale. Le Bari mercantile d’autrefois n’est plus là, mais le pragmatisme est resté et la place réservée à la sentimentalité est réduite. Ensuite, il faut dire que le bari pur n’est parlé qu’à l’intérieur de la médina arabe, un lieu inaccessible jusqu’à il y a 25 ans. Dans le reste de la ville, on parle peu d’italien surveillé. Entre le vieux Bari, désormais plein de clubs et de vie nocturne, et le reste de la ville il y avait peu d’osmose : là les gens ont vécu pendant des millénaires avec ses codes et ses silences.

AVOCAT Le choix des lieux dans mon cas est lié à celui du genre littéraire. Le jaune est pour moi un prétexte pour parler des passions humaines et des contradictions : les premières ne se cataloguent pas et les secondes concernent tout le monde. Le bien et le mal se confondent indistinctement dans mes livres, dans ces lieux encore plus. La confirmation est le Père Raffaele, porteur de compassion, du sentiment d’accueil réservé aux autres et à soi-même. Accepter la fragilité humaine, c’est un combat quotidien qu’il sait avoir perdu : nous sommes fragiles, faillibles.

Un auteur de romans policiers important ?
JJ Mariolina Venezia et ses livres se déroulent à Matera. Le premier qu’il a écrit est sorti quelques mois avant le mien : pour la première fois, je voyais une femme détective essayer de faire enfin de la place parmi les hommes. Puis j’ai aussi épinglé ma Lolita à des Louboutin très inconfortables que j’ai achetées au prix fort à Paris : comme je ne pouvais pas les porter, j’ai optimisé avec elle. Une provocation, mais pas que : on me dit que les femmes se sentent plus fortes avec des talons.

AVOCAT J’ai lu des romans policiers toute ma vie mais j’ai aimé George Simenon et Agata Christie d’un amour différent : le premier pour l’investigation de l’âme humaine et pour la façon dont il sait créer des personnages en trois dimensions, le second parce que ce qu’il écrit est tout complot, un jeu parfait.

iO Donna © REPRODUCTION RÉSERVÉE



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