Le pouvoir d’Assad s’effondre-t-il maintenant que le soutien russe a disparu ? Des milliers de Syriens à nouveau dans les rues


Manifestation massive en Syrie : des milliers de manifestants appellent le président Bachar al-Assad à partir. Les images rappellent le soulèvement syrien de 2011. De nouvelles manifestations sont annoncées vendredi dans tout le pays.

Anne Boersma

Des milliers de manifestants envahissent les rues syriennes. Ils protestent contre le climat économique actuel : une inflation galopante entraîne une hausse du coût de la vie. L’ONU a déclaré cet été que neuf Syriens sur dix vivent en dessous du seuil de pauvreté, conséquence de la guerre qui fait rage depuis douze ans. Après que le régime syrien a décidé de réduire les subventions sur les carburants il y a deux semaines, le prix de l’essence a grimpé en flèche. Pour beaucoup, cela a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

La protestation économique s’est rapidement transformée en un message différent : Assad doit démissionner. Les manifestants se promènent avec les mêmes slogans qu’en 2011, au début du Printemps arabe en Syrie. La protestation cache une profonde colère, car il n’y a toujours pas de justice en Syrie pour les victimes de la guerre.

« Ces gens n’ont rien à perdre. Ils n’ont ni nourriture, ni électricité, ni liberté, ni dignité. Le revenu mensuel moyen d’un citoyen syrien ne dépasse pas 8 euros par mois », explique Céline Kasem, au téléphone depuis Istanbul. Le militant syrien est responsable des médias au Groupe de travail d’urgence syrien, un groupe de défense humanitaire et politique. Elle suit la situation de près.

Druzes

Les manifestations ont débuté le 17 août dans la province méridionale de Soueida. Les Druzes, minorité religieuse du pays, y vivent. Et cela est frappant : jusqu’à présent, ils se sont tenus à l’écart du conflit. De petites rébellions contre Assad ont parfois éclaté dans la région, mais elles ont été étouffées dans l’œuf, notamment par les chefs religieux druzes. Désormais, ils soutiennent les insurgés.

« Les manifestations n’ont jamais cessé en Syrie. Ce qui est nouveau, c’est que cela se produit dans tout le pays», répond le professeur adjoint et expert du Moyen-Orient Koert Debeuf (VUB). Cela ne le surprend pas. « Il y a des années, j’ai dit qu’il n’y aurait jamais de paix en Syrie avec Assad. »

Chaque Syrien sait que protester contre Assad coûte cher. Les manifestations pacifiques qui ont éclaté en 2011 ont été violemment réprimées par le régime. Cela a abouti à un conflit armé : Assad a déclenché une guerre contre ses citoyens. « On pourrait penser que les gens seraient battus. Mais non. Ce que nous constatons aujourd’hui, ce sont exactement les mêmes exigences qu’il y a douze ans, qui sont récurrentes », explique Koert Debeuf. « Ces manifestations rappellent beaucoup les premiers jours après mars 2011. »

Il Réseau syrien pour les droits de l’homme (SNHR) a révélé cette année que 230 224 civils sont morts dans la guerre civile. Le régime syrien est responsable de 201 055 de ces décès. De plus, les prisons sont toujours surpeuplées. « Les gens sont piégés dans les cachots d’Assad, où ils sont torturés à mort. Plus de 100 000 Syriens ont disparu aujourd’hui. Il n’y a ni liberté, ni justice, ni dignité. Si vous ne respectez pas les règles non écrites, vous disparaissez », explique Céline Kasem sur la situation dans son pays.

Des milliers de Syriens descendront à nouveau dans la rue vendredi. Les mêmes personnes qui auparavant ont vu des manifestants bombardés d’artillerie, de bombes, d’incarcérations et d’attaques chimiques, explique Kasem. « Pourtant, ils choisissent quand même de sortir et d’exiger la même chose. À nos yeux, ce sont les âmes les plus courageuses de cette planète.

Alliés

La question est de savoir dans quelle mesure Assad est actuellement au pouvoir et ce que feront ses alliés fidèles, l’Iran et la Russie, si les protestations s’intensifient. Après tout, la Russie est impliquée dans sa propre guerre, même si les troupes russes continuent de bombarder le nord de la Syrie.

Bachar al-Assad est en pleine ascension sur la scène internationale. Par exemple, la Syrie a été autorisée à rejoindre la Ligue arabe cette année, une collaboration entre 22 pays arabes. « S’il recommence à réprimer violemment les manifestations, cela ne saurait tarder », estime Debeuf. Et puis Assad est à nouveau dépendant de l’Iran et de la Russie. «L’Iran va laisser les choses telles quelles, et je ne pense pas que la Russie puisse faire un effort supplémentaire. Cela est potentiellement dangereux pour la position internationale d’Assad.»

Les conséquences de la guerre en Ukraine se répercutent également en Syrie, alors que le pays reçoit l’aide du Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU. Pour les céréales, le PAM dépend de l’Ukraine, mais cela devient encore plus difficile depuis que la Russie s’est retirée de l’accord céréalier. En outre, l’aide alimentaire à la Syrie n’est actuellement financée qu’à hauteur de 12 pour cent. 2,5 millions de Syriens ont donc été réduits dans leur aide alimentaire afin de constituer un tampon pour les 3 millions d’habitants les plus vulnérables.

Pas encore de balles

Jusqu’à présent, les protestations n’ont pas été durement réprimées. Le régime est réticent, estime Koert Debeuf. «Assad est prudent avec les Druzes, il ne veut pas qu’ils s’en prennent à lui. La question est : est-ce que cette protestation va prendre de l’ampleur, que va-t-il se passer ?

Jusqu’à présent, 57 manifestants ont été arrêtés, rapporte le rapport. Réseau syrien pour les droits de l’homme , surtout dans les grandes villes. « Le régime n’a pas encore agi avec fermeté contre les régions contestataires. Des gens ont été arrêtés, mais les protestations n’ont pas encore reçu de réponses par balles », déclare Céline Kasem. Les manifestants se préparent à une réponse.

Kasem espère que les jours d’Assad sont comptés. « Nous voulons relancer notre révolution pacifique et tenir le régime pour responsable du meurtre, de la torture, des bombardements et des attaques chimiques sur des millions de nos citoyens. »

Manifestation à Idlib. Koert Debeuf : « Aujourd’hui, nous constatons exactement les mêmes exigences qu’il y a douze ans. »ImageGetty Images



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