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L’écrivain est directeur éditorial et chroniqueur au Monde

N’appelez pas cela un coup d’État ou un putsch : il s’agit d’une « tentative extra-constitutionnelle de prise du pouvoir ». Et les officiers militaires qui ont déposé et séquestré le président démocratiquement élu ne sont pas des putschistes ni une junte, mais un « groupe affirmant le pouvoir ».

Les efforts extraordinaires déployés par le Département d’État américain pour éviter de nommer correctement ce qui s’est passé le 26 juillet au Niger reflètent le degré d’embarras que ces nouveaux troubles en Afrique subsaharienne ont causé aux stratèges occidentaux.

Cela souligne également les différences dans la manière dont les deux principaux acteurs occidentaux de la sécurité dans la région, les Français et les Américains, ont abordé la question. Le président Emmanuel Macron, parlant tel qu’il est, a parlé d’un « coup d’État parfaitement illégitime », puis est tombé dans un rare silence, tandis que Washington et certains États africains tentaient d’engager des négociations avec « le groupe qui affirme le pouvoir » à Niamey. .

Toujours sans solution après près d’un mois, la situation au Niger constitue un coup terrible pour les efforts occidentaux visant à stabiliser cette partie de l’Afrique. C’est également un signal d’alarme quant à l’évolution de la réalité géopolitique d’un continent qui attire désormais une multiplicité d’acteurs.

Non seulement l’activité des groupes djihadistes a considérablement augmenté, mais le Niger est le quatrième pays d’Afrique de l’Ouest, après la Guinée, le Mali et le Burkina Faso, dont le chef a été renversé par un coup d’État militaire au cours des trois dernières années. Paradoxalement, le Niger est l’un des rares États où l’offensive jihadiste s’essouffle au cours de l’année écoulée. Même cette réussite n’a pas empêché l’instabilité politique de se propager.

Qui a perdu le Niger ? Le coup d’État est probablement le dernier clou dans le cercueil de la politique française en Afrique de l’Ouest. Méfiant face au fardeau colonial, Macron a en effet proposé une nouvelle vision plus équilibrée pour la région, mais la présence militaire permanente de la France s’est avérée un puissant contre-argument. Chassés du Mali l’année dernière, les forces françaises pensaient avoir trouvé refuge au Niger voisin, dirigé par un président ami, Mohamed Bazoum. Aujourd’hui, ses nouveaux dirigeants ont demandé à Paris de retirer ses 1 500 soldats.

Pour les Américains, qui maintiennent deux bases militaires importantes et 1 100 hommes au Niger, la leçon est presque aussi amère. Comme l’a découvert la secrétaire d’Etat adjointe par intérim, Victoria Nuland, le 7 août à Niamey, tenter de négocier le retour à l’ordre constitutionnel avec un général de brigade et trois colonels n’est pas une tâche enviable. D’autant plus que le général Moussa Salaou Barmou, diplômé d’un master en études stratégiques de sécurité de l’Université de défense nationale de Washington, était considéré par le Pentagone comme son meilleur partenaire dans la lutte contre l’extrémisme islamiste. La conversation, a déclaré Nuland, a été « extrêmement franche et parfois assez difficile ».

L’administration Biden se trouve désormais face à un dilemme : soit elle s’en tient à ses valeurs démocratiques déclarées, ce qui rend difficile le maintien de bases militaires en coopération avec une junte illégitime, soit elle décide que la détérioration de la situation sécuritaire, menaçant même les États côtiers de L’Afrique de l’Ouest, comme la Côte d’Ivoire, est primordiale et mérite quelques concessions pragmatiques.

Jusqu’à présent, Washington espérait une solution diplomatique qui permettrait à ses forces de rester au Niger, enclavé, en échange d’un engagement en faveur d’une sorte de transition démocratique. Cela explique le luxe des précautions prises en ne qualifiant pas un coup d’État de coup d’État, pour éviter de devoir annuler l’assistance américaine en matière de sécurité.

Un autre argument joue en faveur de l’approche pragmatique : le facteur russe. Macron a appris à ses dépens comment Vladimir Poutine, tout en feignant de ne rien savoir du rôle joué par les mercenaires de Wagner en Afrique, a utilisé cet outil, ainsi que des campagnes de désinformation, pour étendre l’influence de Moscou.

On peut douter de la mesure dans laquelle la Russie, accablée par sa guerre en Ukraine, peut réorienter ses ressources vers une nouvelle opération en Afrique, tout comme la capacité réelle du légendaire leader de Wagner, Eugène Prigojine, à redéployer ses forces sur le continent. Le nombre réduit de chefs d’État africains qui ont choisi d’assister au deuxième sommet Russie-Afrique le mois dernier à Saint-Pétersbourg – 17, contre 43 pour le premier sommet de Sotchi en 2019 – est également un signe du déclin de la célébrité de Poutine.

Mais les États africains, courtisés par la Chine, la Turquie et d’autres, veulent que leurs prétentions à la souveraineté soient reconnues. Leur poids actuel sur la scène mondiale ne peut être ignoré.

Des questions difficiles ne peuvent pas non plus être évitées sur le bilan désastreux de la gouvernance démocratique dans les pays subsahariens. Le Niger, l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, deux fois plus grand que le Texas, pourrait être en partie recouvert de désert. Elle constitue encore un terrain fertile pour la compétition entre grandes puissances.



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