Dans la guerre au Soudan, les cercueils avec des momies sont aussi des victimes


Le Soudan subit une guerre de destruction, avec non seulement une crise humanitaire et la destruction des infrastructures, mais aussi des œuvres d’art historiques en danger. Notre patrimoine culturel est en danger de disparition. Le Musée national de la capitale Khartoum a été attaqué ces dernières semaines. Des miliciens ont cassé de vieux pots et ouvert des coffres avec des momies », raconte Elnour Hamir depuis son lieu d’exil à Paris. Depuis la chute en 2019 de l’ancien président et autocrate Omar el-Béchir, il est à la tête de la Société nationale des antiquités et des musées (NCAM), créée pour la préservation du patrimoine culturel soudanais.

En avril, deux factions de l’armée soudanaise se sont plongées dans une lutte de pouvoir brutale : les forces régulières du président Fattah al-Burhan et celles des Forces de soutien rapide. Les RSF sont une force paramilitaire dirigée par le général Mohamed Hamdan Dagalo, également connu sous le nom de Hemedti, une milice du désert de l’ouest du Darfour qui a été incorporée dans les Forces armées nationales. Les combats sont concentrés à Khartoum et dans la région du Darfour. Les combattants d’Hemedti opèrent dans les rues avec des armes légères sur leurs pick-up, l’armée de Burhan les frappe à l’arme lourde, avec des avions de chasse et des drones.

Les combattants de la RSF d’Hemedti ont utilisé la stratégie de la terre brûlée lors de la guerre de 2003 au Darfour. Ils se battent désormais dans les villes avec la même attitude : pour eux l’Etat est un butin et la population une cible à violer et à voler. Ils occupent des maisons, des hôpitaux et des écoles, et valorisent les musées.

« Nous avons une quarantaine d’employés sur place pour évaluer les dégâts, mais ils ne peuvent sortir de chez eux que pendant les courts cessez-le-feu », explique Isber Sabrine, responsable d’Heritage for Peace, une ONG internationale qui tente de protéger le patrimoine dans les situations de guerre.

« Ils se comportent comme des barbares », dit Elnour de Paris à propos des soldats des RSF qui sont entrés au Musée national du Soudan à Khartoum. Lorsqu’ils ont ouvert d’anciennes momies dans des conteneurs, ils ont annoncé sur les réseaux sociaux qu’ils avaient découvert des victimes du règne d’al-Bashir. « Ils sont peu développés, ils n’ont aucune idée de la culture et de l’histoire », a déclaré Elnour. Tous les gardiens du musée ont depuis pris la fuite.

Selon l’Unesco, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, les archives de l’Université Ahlia d’Omdurman ont également subi d’importants dégâts. Des milliers de livres anciens et de documents rares ont été perdus dans un incendie dans la bibliothèque universitaire.

10ème siècle Art chrétien au Musée national, en 2008.
Photo Khaled Desouki/AFP

Nil Bleu

Selon les mots des anciens prêtres égyptiens, le Nil « flottait dans l’eau sans fond la semence de toutes choses ». L’histoire culturelle du Soudan est centrée autour du Nil, où de grands empires ont vu le jour. Dans la capitale Khartoum, les musées les plus importants sont situés sur la rive du fleuve.

Le Soudan abrite deux cents pyramides et possède la plus grande collection de trésors culturels historiques du continent après l’Égypte. Cela est en partie dû aux fouilles dans la région où se trouvait le légendaire empire nubien de Kush dans les temps anciens, un des premiers États-nations d’Afrique noire avec son propre système d’écriture, son industrie, ses arts et ses sciences. La zone est située au nord de Khartoum près des cascades du Nil.

Une grande partie de cette culture a été préservée par la construction du haut barrage d’Assouan en Égypte entre 1960 et 1970, qui a inondé le bassin du Nil sur une distance de 500 kilomètres. Les archéologues de l’époque se sont mis au travail pour trouver et sauver des statues et des temples. D’après les informations du British Museum, ce une statue du roi Anlamani et de nombreux autres artefacts de la culture nubienne, « ces sauvetages ont assuré que cette zone fournissait probablement la documentation la plus complète pour les archéologues que toute autre zone comparable dans le monde ».

Le Nil bleu coule devant le Musée national du Soudan, qui abrite plus de 100 000 objets de l’histoire soudanaise. Il abrite la plus grande collection archéologique nubienne au monde, comme la statue en granit du roi Taharqa, souverain entre 690 et 664 av. Quatre des temples nubiens reconstruits sont exposés dans le jardin du musée. Il y a aussi des statues, des momies et des peintures murales de l’âge de pierre. Par une heureuse coïncidence, la plupart des œuvres d’art ont été rangées ce printemps en raison d’une rénovation. Mais en pleine ligne de front, la collecte au jardin est en danger.

De l’autre côté du pont du Nil Blanc, à moins de trois kilomètres à l’ouest du musée, se trouve Omdurman, l’ancienne capitale du Soudan. Ici se trouve le tombeau du Mahdi, qui a établi un État au Soudan au 19ème siècle après une révolte contre les occupants britanniques et turcs. En outre, un nouveau musée a récemment ouvert ses portes dans l’ancienne maison de Khalifa Abdullah ibn Mohammed, qui a gouverné le Soudan avant d’être vaincu par les Britanniques en 1898. Dans les deux endroits, les RSF ont installé une base militaire et peuvent donc devenir la cible de frappes aériennes ou de bombardements.

L’entrée de celui-ci Musée national du Soudan à Khartoum, en 2020.
Photo ASHRAF SHAZLY/AFP

Marchands arabes

Ceux qui osent marcher à l’est du Musée national à travers un quartier de tireurs d’élite arriveront à l’ancien et au nouveau palais présidentiels, tous deux endommagés par les combats. A deux pas se trouve le Musée Ethnographique, où la diversité du Soudan est montrée. Le Soudan est un pays multiculturel. Pendant des centaines d’années depuis le 7ème siècle, les commerçants arabes ont voyagé vers le sud à travers le Sahara, à travers la mer Rouge et le Nil, emportant avec eux leur foi et leur culture islamiques.

« Au Musée ethnographique, nous montrons la diversité de tous les groupes ethniques du Soudan d’aujourd’hui, de leurs cultures et de leurs traditions, avec des statues, des masques, des bijoux et des perles fascinants d’origine africaine et arabe », explique Elnour de l’organisation du patrimoine soudanais NCAM. «Avec cela, nous voulons contribuer à résoudre la crise d’identité du Soudan. Une élite de dirigeants arabes ou arabisés a toujours voulu transformer le pays en un État arabe islamique. Mais nous sommes beaucoup plus diversifiés, et ce musée en est la preuve.

Dans le cadre de la campagne pour montrer tous les visages du Soudan, Elnour a contribué à la création de tels musées ethnologiques au Darfour, à Al-Fashir, Nyala et El Geneina, villes où, comme Khartoum, une bataille de destruction se déroule actuellement. Cependant, bon nombre de ces nouveaux musées n’avaient pas encore ouvert leurs portes au début de la guerre.

Les RSF sont des voleurs, pas des iconoclastes, comme les talibans en Afghanistan à l’époque. « Mais les RSF commettent des crimes pour lesquels ils peuvent être poursuivis, car la destruction du patrimoine national est considérée comme un crime au niveau international », prévient Isber Sabrine de Heritage for Peace.

Elnour de NCAM n’est pas encore préoccupé par les voleurs d’art, comme le vol pendant la guerre en Syrie. Cependant, il craint « la folie de l’or ». Dans les zones non inondées de l’empire Kush, les pyramides et les temples sont situés dans des endroits reculés. « De nombreux Soudanais soupçonnent à tort que l’or est caché sous les pyramides », dit-il. « Mais heureusement ces antiquités sont protégées ; depuis le début de la guerre, les riverains ont repris la surveillance. Cela donne un peu d’espoir en ces jours sombres pour le Soudan.

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