Les juges rétabliront-ils la confiance dans le système judiciaire avec des visites d’écoles ? ‘Un plâtre sur une jambe de bois’

L’agitation entourant le jugement Reuzegom continue et le reproche de justice de classe se fait de plus en plus fort lors des manifestations. Les juges de Gand veulent renforcer la confiance dans l’État de droit en parlant de justice dans les lycées, mais ce ne sera pas facile. « L’écart entre la loi et la justice est maintenant exposé. »

Paul Noteteirs

« Le débat sur une décision de justice est sain dans une société démocratique. Mais il semble qu’il se passe plus de choses. Dans une lettre ouverte tombée vendredi dans tous les lycées de Gand, le tribunal local de première instance indique vouloir combler le fossé avec la jeunesse. Depuis la fin du procès Reuzegom, il y a eu un grand mécontentement social face à la peine prononcée et le thème a également captivé de nombreux jeunes. Des centaines de vidéos contenant des informations personnelles des accusés circulent sur TikTok et YouTuber Acid a exprimé sa déception devant le tribunal dans deux vidéos très discutées. La méfiance peut fragiliser l’État de droit et c’est pourquoi les juges gantois veulent visiter les lycées. Pas pour discuter spécifiquement de l’affaire Reuzegom ou pour prétendre qu’ils ont raison, mais pour écouter. «Nous voulons savoir comment la nouvelle génération perçoit l’état de droit», déclare le directeur du département Daniël Van den Bossche. « L’écoute est une qualité importante d’un bon magistrat, nous ne voulons donc pas ignorer les signaux. »

L’affaire Reuzegom a mis en lumière la méfiance à l’égard de la justice, bien qu’il s’agisse en principe d’un vieux bobo. « Les critiques sont plus fortes, mais je ne pense pas qu’il y ait plus de plaintes qu’avant », déclare la criminologue Sofie De Kimpe (UGent). Les médias sociaux permettent aux citoyens d’exprimer plus facilement leurs doléances et ces messages sont également plus facilement repris par les chaînes d’information. Cela ne veut pas dire qu’un statu quo est durable ou souhaitable. En 2022, seuls 32 % des Flamands avaient encore confiance dans le pouvoir judiciaire. Les politiciens alimentent davantage ce mécontentement. La N-VA rêve depuis longtemps d’un « appel populaire » pour dénoncer les « juges militants » de la Cour constitutionnelle et dans l’affaire Sanda Dia, la sanction a été critiquée par le président du CD&V, Sammy Mahdi, entre autres. Peu de temps après, le Conseil des cours et tribunaux a appelé les politiciens à s’abstenir de rendre des décisions « inadmissibles et inacceptables » et à respecter le système judiciaire.

Pas d’armes égales

Un appel à la sérénité et une main tendue des juges gantois ne feront pas disparaître le mécontentement. « C’est un plâtre sur une jambe de bois », explique le politologue et juge aux affaires sociales Fouad Gandoul. « L’écart entre le droit et la justice est maintenant exposé. » Il ne remet pas en question l’exactitude juridique du jugement, mais souligne les dangers de la justice de classe. Immédiatement après l’issue fatale du baptême, les riches Reuzegommers avaient déjà accès aux meilleurs avocats et pouvaient donc bien se préparer pour le procès final. Pour les personnes issues des classes socio-économiques inférieures, ce soutien est beaucoup moins évident et cette inégalité peut aussi se répéter dans la phrase prononcée. « Si vous rencontrez une épreuve une fois, vous ne vous battez pas à armes égales », reconnaît De Kimpe.

Les groupes de population les plus pauvres eux-mêmes supposent également que des ressources inégales au sein du système judiciaire conduisent à des résultats inégaux. Dans l’Eurobaromètre, 73 % des personnes de la classe moyenne supérieure déclarent avoir confiance dans le système judiciaire belge, alors que seulement 42 % de la classe ouvrière comptent. De plus, l’écart se creuse et un dossier comme celui de Reuzegom met le doigt sur le point sensible. Van den Bossche souhaite renforcer la confiance dans l’État de droit en communiquant davantage sur le fonctionnement du ministère de la Justice et, outre des dossiers concrets, en discutant également de principes plus larges tels que la détermination de la peine. Cependant, il est peu probable que la communication suffise à elle seule à renverser la perception du tribunal comme un appareil encombrant et non transparent.

Selon Gandoul, il est également important de faire plus de recherches sur la manière dont les préjugés inconscients affectent le processus judiciaire. Dans l’éducation, par exemple, tout est soi-disant effet pygmalion où les attentes des enseignants déterminent implicitement les performances des élèves. Ceux qui appartiennent à la même classe sociale jouissent d’une position plus favorable. « Pourquoi quelque chose comme ça n’existerait-il pas dans le domaine de la justice ? », s’interroge Gandoul. Une étude qualitative exploratoire aux Pays-Bas allait déjà dans ce sens. Plusieurs répondants ont indiqué qu’une reconnaissance limitée dans l’environnement social des suspects pourrait conduire à une décision de justice plus stricte. De Kimpe souligne également l’importance de nommer davantage de juges issus des classes socio-économiques inférieures afin que la sélectivité puisse être davantage reconnue.

Il n’y a pas beaucoup de temps pour restaurer cette confiance. Dans des villes comme Anvers, par exemple, la majorité des mineurs ont des racines migratoires. Pour garantir l’avenir de l’État de droit, il est important de démontrer que l’égalité de traitement est également garantie dans une société diversifiée. « Parce que maintenant ils reçoivent le message que Tom avec un avocat comme père recevra une peine plus légère pour les mêmes infractions qu’Ahmad dont le père est un ouvrier. »



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