LELe temps est long, profond, mystérieux. Pendant de nombreuses années, en entrant dans la petite salle de bain entre la salle à manger et la porte intérieure de la pharmacie de la maison Ro Ferrarese, J’ai vu la page d’un dessin animé de Benito Jacovitti avec une dédicace et sa signature : « A Vittorio Sgarbi, pour que tu ne me traites pas mal. Jack ». Pour tenir compte de cela Jacovitti est mort il y a 26 ans, en 1997j’imagine que cette feuille m’a été donnée il y a une trentaine d’années, je ne sais plus où; et je ne me souviens même pas l’avoir rencontré, Jacovitti. Il est donc probable qu’il s’agit d’un remerciement, arrivé par des amis communs, pour quelque chose que j’ai dit ou écrit à son sujet, exprimant mon admiration pour lui. À chaque occasion publique ou privée, je n’ai pas manqué de le déclarer, mais je ne pense pas l’avoir jamais vu en personne.
Jacovitti, la légende
Il est resté dans le mythe de mon enfance, mais le respect et le souci apparent de son dévouement me flattent en me faisant penser, comme cela m’est arrivé à maintes reprises, à un renversement des rapports générationnels. Jacovitti il avait l’âge de mon père. Grandi, cet enfant qui le lisait avidement il s’était manifesté de manière sensationnelle à travers la télévision, avec une popularité soudaine, révélant un personnage polémique, qui ne les envoyait pas dire, prêt à juger sans respect et sans retenue. Et voilà donc un dur à cuire comme lui qui demande indulgence : évidemment un jeu et une reconnaissance affectueuse. J’aime que ce soit notre seule connexion directe, même à distance. Et j’aime aussi dire ici que sa (prétendue) inquiétude était injustifiée parce que Je ne pourrais jamais mal traiter Jacovitti à cause de la considération inconditionnelle que j’ai toujours eue pour lui.
L’euphorie et le plaisir
Aujourd’hui, son dévouement me rend tendre car Jacovitti est pour moidans tant d’ironie funèbre d’illustrateurs et de dessinateurs, l’exemple le plus élevé et le plus irrépressible de euphorie et amusement. Et ça me fait me sentir vivant. Personne n’a réussi, dans son domaine, à allier style et capacité à divertir avec l’esprit de l’histoire. Le dessin et la couleur de Iacovitti rient avec un rythme irrésistible, une série continue de blagues qui sont dans le dessin avant d’être dans les mots : dans la forme des chaussures, dans les visages des animaux, dans les serpents, dans les poissons, dans les salami. La page s’anime avec l’ironie et la bonne humeur d’Iacovitti. Cocco Bill, Jak Mandolin, Jak Cello: un malheureux petit voleur qui obtient les tours suggérés par Popcorn, un petit diable maladroit expulsé des enfers pour mauvaise performance. Le voici braqué d’un revolver, si inoffensif qu’une araignée sort du canon, sur un malheureux qui montre la doublure de ses poches en déclarant : « Mais je suis fauché ». La blague en elle-même n’est pas drôle, mais le contexte, l’illustration avec le petit diable sortant du chapeau haut de forme sont irrésistibles. Iacovitti est énergie pure, rythme, vide d’horreur, invention continue.
Le Manifeste de 1962 pour la la campagne civique pour la désinfestation de la municipalité de Milan a un rythme irrépressible. Jacovitti imagine d’ingénieuses machines infernales au service de la division de l’hygiène et de la santé pour la lutte contre les mouches et les moustiques. Jacovitti décrit, comme n’aurait pas pu le faire Hieronymus Bosch, l’action de ses engins diaboliques : une vaste action de désinfestation est également en cours avec l’utilisation d’hélicoptères. L’image correspond parfaitement à l’accent triomphaliste, comme Jacovitti le fait toujours dans ses illustrations sauvages. D’eux monte une musique qui est un mélange de crescendo de Rossini et de jazz. Les calendriers, agendas, agendas, publicités pour Esselunga, le cahier d’écolier de Coccobill témoignent d’une imagination débridée qui a coïncidé avec la vie même de Jacovitti. Énergie pure, joie pure.
Pour expliquer ce qu’était Jacovitti, nous ne sommes pas aidés par des références figuratives ou littéraires, pas besoin de citations que son style rumine et renverse. Le rythme de l’invention et l’esprit du temps trouvent leur équivalent chez Fred Buscaglione. Il n’y a pas de référence plus éloquente et plus directe pour comprendre un artiste aussi atypique et complexe. Tout le reste est ennuyeux.
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