Jonathan Holslag enseigne à l’Université Libre de Bruxelles. Il est l’auteur de De mur à mur : la politique mondiale depuis 1989. Il écrit un essai toutes les quatre semaines Le matin.

Jonathan Holslag

Les chefs de gouvernement européens se sont mis d’accord cette semaine à Ostende pour quadrupler la capacité des éoliennes offshore d’ici 2030. Cela, ont-ils suggéré, devrait nous rendre moins dépendants des importations et générer une énergie abordable pour les familles. La Belgique est pionnière dans ce domaine par son savoir-faire et c’est bien que notre pays prenne l’initiative. Le problème, cependant, est que le vent de la mer du Nord est en train de devenir un battage médiatique politique à Ostende et que même avec la capacité supplémentaire, nous nous débarrassons à peine de nos dépendances actuelles. Les dirigeants politiques doivent informer les citoyens plus honnêtement.

Je ne veux pas prétendre être un expert en énergie ici, mais les déclarations d’Ostende me laissent beaucoup de doutes et de questions. La capacité éolienne en mer du Nord passera ainsi de 30 à 120 gigawatts. Dans des conditions très optimales, ces moulins tournent 4 000 heures par an et fournissent 480 térawattheures d’énergie électrique. La consommation énergétique annuelle du North Sea Club (Benelux, Danemark, Allemagne, France, Royaume-Uni, Irlande et Norvège) cependant, est de près de 10 000 térawattheures. Si cette consommation devait tomber à environ 9 000 térawattheures d’ici 2030, comme prescrit par RepowerEU, alors le vent de la mer du Nord fournira 5 à 6 % des besoins énergétiques.

Cela s’applique également à la Belgique. Au mieux, le vent de notre partie de la mer du Nord fournit 5 à 6 % de nos besoins. D’ici 2030, nous générerions environ 32 térawattheures de vent en mer du Nord, contre 8 térawattheures aujourd’hui. Mais la consommation d’énergie sera d’environ 540 térawattheures si nous supposons le scénario RepowerEU. L’expansion du vent de la mer du Nord, bonne pour 24 térawattheures, pourra au mieux accueillir la moitié de la capacité des centrales nucléaires. Ces dernières années, cela représentait environ 48 térawattheures.

Le projet de la mer du Nord ouvre naturellement des possibilités d’importation d’énergie électrique d’autres pays. Les nouveaux réseaux câblés le permettront. Cependant, la demande pour le courant de la mer du Nord sera également élevée dans les pays partenaires. Avant tout, nous devons nous assurer que nous pouvons nous permettre ces importations. L’importation d’énergie, qu’il s’agisse d’électricité, de gaz naturel ou autre, pèsera de plus en plus lourdement sur la balance commerciale en raison de la transition. Il faudra donc de toute façon trouver beaucoup d’énergie ailleurs et cela coûtera de l’argent.

Combustibles fossiles

Cependant, le point essentiel demeure : la dépendance aux énergies fossiles importées. Le pétrole et le gaz naturel représentent toujours 53 et 28 % de notre approvisionnement énergétique. C’est énorme. L’industrie, les transports et le chauffage dans les maisons restent les gros consommateurs. Nous ne saurions trop insister là-dessus. La discussion sur l’énergie se limite souvent à l’électricité, mais l’électricité ne représente que 17 % de notre mix énergétique total. Les combustibles fossiles restent les principales sources d’énergie, représentant 65 % des besoins. Selon le Plan National Énergie Climat, cette part resterait également très élevée à l’horizon 2030.

La guerre en Ukraine nous a obligés à ajuster l’approvisionnement en pétrole et en gaz. L’hypothèse initiale du Plan Énergie Climat de remplacer en partie l’énergie nucléaire par le gaz naturel est intenable. Pour l’instant, nous avons remplacé la dépendance vis-à-vis de la Russie par de nouvelles dépendances vis-à-vis de l’Amérique et du Moyen-Orient, notamment en ce qui concerne le pétrole. Bien que l’Europe importe encore des quantités très importantes de pétrole, indirectement, via l’Azerbaïdjan, par exemple, ou via l’Inde et les États du Golfe, où le pétrole russe acheté à bas prix est simplement mélangé dans des réservoirs de stockage et vendu en mélange dans le monde entier.

La Russie reste un important fournisseur de gaz naturel. En 2021, selon Eurostat, la Belgique a importé 7 millions de mètres cubes de gaz russe. Cela équivaut à 46 térawattheures d’énergie, environ 8 % de notre approvisionnement énergétique total et 12 % des importations de gaz. Au cours des trois premiers mois de cette année, pas moins de 18 % du gaz importé par la Belgique provenait de Russie ; une partie est exportée vers les pays voisins. Même lorsque les Excellences ont signé leur traité de la mer du Nord, un pétrolier russe était ancré à Zeebrugge à deux pas et deux étaient en route. Nous avons donc encore besoin de gaz russe et l’embargo pétrolier n’est pas très efficace. Après tout, le marché de l’énergie est un marché mondial et la Russie compte encore de nombreux partenaires sur ce marché mondial.

Transition

Nous pouvons et devons chercher des alternatives, mais il n’en demeure pas moins que nous continuerons à être très dépendants des combustibles fossiles importés dans les décennies à venir. Pour la production d’énergie, l’hydrogène vert, dit vecteur, généré à partir d’énergies renouvelables, fait l’objet d’une attention particulière. Cependant, le déploiement de l’hydrogène sera lent. D’ici 2030, l’UE vise 10 millions de tonnes d’hydrogène importé et 10 millions de tonnes d’hydrogène autoproduit. Cela correspond à environ 13 % de la valeur énergétique du pétrole importé. Nous devrons en grande partie importer cet hydrogène vert et l’argument selon lequel cela augmentera notre sécurité énergétique est largement démenti par le fait que le Moyen-Orient est susceptible de devenir le principal fournisseur le plus probable dans un avenir prévisible et que la Chine pourrait devenir l’un des producteurs d’hydrogène les moins chers.

Une révolution importante devra avoir lieu dans notre industrie, aujourd’hui un secteur extrêmement important dans notre pays. De nombreux scénarios sont sur la table. Économie circulaire pourrait réduire la consommation de pétrole pour les produits chimiques tels que les plastiques. La biomasse, comme le sucre, peut aussi servir d’alternative. Rotterdam, par exemple, se profile résolument dans ce domaine. Mais la biomasse se fait souvent au détriment de la nature précieuse et de la sécurité alimentaire. Encore une fois, le chemin vers une industrie chimique moins dépendante des énergies fossiles sera long et son succès sera de toute façon aussi déterminé par la concurrence avec les clusters chimiques d’Asie et d’Amérique.

Les progrès les plus significatifs à moyen terme concernent probablement les ménages, qui représentent 20 % de la consommation totale d’énergie en Belgique. L’isolation, les panneaux solaires et la conduite électrique peuvent rapidement réduire davantage la consommation d’énergie dans ce secteur. Revers de la médaille, ce confetti de projets individuels coûte très cher et pèse lourdement sur les familles les moins aisées. De plus, de mauvaises politiques annulent parfois les progrès d’un front à l’autre. Les gains que nous réalisons en isolant les maisons, par exemple, sont en partie neutralisés par des constructions encore trop dispersées, ce qui signifie que la distribution d’énergie peut être moins efficace et qu’il faut généralement plus de transport.

Citoyens

En bref, les politiciens doivent être honnêtes avec leurs citoyens. Une bonne émission d’information comme à Ostende peut être utile pour attiser l’enthousiasme pour la transition, mais elle crée aussi une image déformée. La contribution du parc éolien de la mer du Nord à notre sécurité ou dépendance énergétique reste modeste. Dans le cas de la Belgique, il sera annulé par la fermeture des centrales nucléaires restantes. Cette fermeture a peut-être été reportée, mais on ne sait toujours pas ce qu’il adviendra des usines restantes à long terme. Peut-être que notre sécurité énergétique sera mise à l’épreuve dans les années à venir, ne serait-ce que parce que les câbles de la mer du Nord sont tout aussi vulnérables que les pipelines de la mer Baltique et que nous importerons encore beaucoup d’énergie de zones instables.

La question est de savoir si notre pays peut encore développer une stratégie énergétique, compte tenu des pouvoirs fragmentés. Si vous avez trop de temps, lancez-vous le plan national énergie climat essayez de lire. Cela peut être considéré comme un exemple de politique peu claire. Le gouvernement devrait oser dire ces vérités inconfortables, mais en fait, il ne fait guère l’effort de présenter une stratégie énergétique claire à ses citoyens. Et puis elle ne devrait pas s’étonner que des citoyens, comme le soussigné, soient méfiants. Un ajustement très long et coûteux nous attend. Au lieu de laisser entendre que les choses vont s’arranger, le gouvernement devrait analyser les options de manière transparente et quantifier leurs coûts. Les citoyens y ont droit.



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