Gouverner est un travail assoiffé. Tu parles un peu, donc la gorge doit être bien lubrifiée. L’électeur Johan George Ier de Saxe l’a fait avec un grand dévouement. L’histoire va qu’il buvait parfois vingt litres de bière… en une journée. Il aimait aussi une collation avec sa boisson. Rien d’étonnant donc à ce que ce gourmand soit représenté dans des tableaux à grosse pointe d’embon. Son surnom était Bierjörge (Biersjors).
Johan George est né en 1585 et devint électeur de Saxe en 1611. C’était juste à temps pour vivre la période la plus terrible de l’histoire allemande au premier rang. En 1618, éclate la guerre de Trente Ans, un conflit entre protestants et catholiques dans l’empire des Habsbourg qui va bientôt entraîner toute l’Europe dans l’enfer.
Position neutre
Johan George était luthérien (protestant), mais a d’abord combattu aux côtés de l’empereur catholique des Habsbourg Ferdinand II. Lorsqu’il durcit ses mesures anti-protestantes, le Saxon décide de prendre une position neutre. Cela réussit jusqu’en 1631, lorsqu’une armée impériale en maraude le fait passer aux Suédois protestants.
Il a commis une grave erreur en tournant le dos à ces nouveaux alliés trois ans plus tard. Dans les dix années qui suivirent, la Saxe fut régulièrement incendiée par les Scandinaves. Cela dura jusqu’à ce qu’une trêve soit signée à Kötzschenbroda en 1645.
Ce lieu occupe une place particulière dans la vie de Johan George pour une autre raison. Pendant la guerre de Trente Ans, l’électeur aimait séjourner dans sa cave de Hoflößnitz, où il appréciait trop le jus de raisin local. L’épouse de Johan George, Magdalena – avec qui il a d’ailleurs réussi à engendrer dix enfants – a donc demandé au pasteur de l’église de Kötzschenbroda s’il souhaitait prêcher contre l’abus d’alcool en présence de l’électeur.
Le pasteur a rassemblé tout son courage et prononça des mots sévères du haut de la chaire sur « les tristes conséquences de la gourmandise et de l’ivresse ». Il termina ainsi son sermon : « Notre gracieux seigneur boit aussi, mais il l’a bien mérité et que ce soit avec lui ! Amen. »
Intimidation
Un avertissement plutôt faible, mais Johan George avait compris l’allusion. Il invita le prêtre à dîner et lui dit : « Tu m’as brûlé la fourrure ! » Le pasteur a répondu: « Je serais désolé si je ne touchais que la fourrure et non votre cœur. »
Le bon vivant saxon appréciait une telle éloquence et décida d’accorder à l’église de Kötzschenbroda une allocation annuelle. Il s’agissait – de manière très taquine – de cruches de vin, 49 3/4 pour être précis, « car 50 serait trop », a déclaré l’électeur.
Malgré son style de vie somptueux, Johan George a vécu jusqu’à 71 ans. Des mots qu’il a prononcés sur son lit de mort – Meinen Jesum lass ich nicht – est un hymne d’église populaire fait.