Les périls de l’affirmation stratégique d’Emmanuel Macron


Qu’Emmanuel Macron ait eu raison ou non sur le principe d’affirmer l’indépendance stratégique européenne vis-à-vis des États-Unis lors de son voyage la semaine dernière en Chine, la suspicion que le président français a suscitée à l’égard de l’UE l’a très probablement éloignée plus que jamais.

L’accent mis par Macron sur le maintien d’une distance à la fois avec Washington et Pékin dans la poursuite de l’insaisissable « autonomie stratégique » pour l’UE n’est guère une innovation parmi les décideurs politiques européens. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a accompagné Macron lors de son voyage, a dit des choses similaires, bien que recouvertes d’un ton beaucoup plus sceptique envers la Chine. Mais les partisans d’une Europe géopolitique doivent reconnaître qu’un manque d’unité et de confiance au sein de l’UE, plutôt qu’une manipulation sinistre par Washington et Pékin, est le principal obstacle.

Nous avons déjà vu cela se jouer dans la politique commerciale, un domaine où l’UE a depuis longtemps le pouvoir d’agir collectivement. De la même manière que rien n’empêche les gouvernements européens d’augmenter leurs dépenses militaires et de jouer un rôle géopolitique plus important, l’UE pourrait certainement accroître sa capacité à utiliser le commerce pour projeter une influence stratégique. Mais alors que la France a tenu à créer de nouveaux outils d’intervention dans le commerce et l’investissement, d’autres États membres sont conscients que les vues et les intérêts de Paris ne sont pas nécessairement ceux du bloc dans son ensemble.

Ces dernières années, la Commission européenne a minutieusement conçu un ensemble d’outils commerciaux pour affirmer le poids géoéconomique du bloc. Le plus important sur le plan politique est l’instrument anti-coercition (ACI), qui permettra à l’UE d’utiliser un large éventail de mesures commerciales et d’investissement pour riposter contre l’intimidation des partenaires commerciaux. La France a fortement soutenu toutes ces activités et a également préconisé de nouveaux fonds centralisés pour que l’UE puisse poursuivre sa politique industrielle.

Mais la Commission aura du mal à utiliser cet ensemble d’outils en cas d’opposition d’autres États membres soucieux de leurs intérêts à l’exportation ou méfiants à l’égard de l’utilisation d’instruments commerciaux pour mener une politique stratégique centralisée. Quelques jours à peine avant le voyage de Macron, la Commission a cédé aux pressions de certains gouvernements de l’UE, dont l’Allemagne, et a confié aux États membres un rôle important dans la détermination de l’utilisation de l’ACI.

Même avec les Verts sceptiques vis-à-vis de la Chine dans la coalition gouvernementale actuelle en Allemagne, Berlin évite instinctivement une confrontation qui pourrait nuire aux exportations et aux investissements allemands à l’étranger. Il y avait également des objections plus fondées sur des principes de la part d’États membres libéraux, dont la Suède et la République tchèque, méfiants à l’égard des tentatives de politisation de la politique commerciale et de la possibilité qu’elle soit trop influencée par certains gouvernements.

Macron lui-même a contribué par inadvertance à alimenter ces inquiétudes. En particulier, il a alarmé certains autres gouvernements de l’UE il y a quelques années avec une volte-face apparente sur un accord d’investissement phare avec la Chine, laissant un héritage de méfiance.

La signature de l’accord global sur l’investissement (CAI), pour lequel les négociations avaient commencé en 2014, a été menée par l’administration de la chancelière allemande Angela Merkel littéralement dans les dernières heures de 2020 alors que l’Allemagne présidait pendant six mois le Conseil européen des États membres. s’est terminé. Ayant jusqu’à quelques jours à l’avance (correctement) dit que CAI fait peu pour faire respecter les droits du travail en Chine — la promotion des valeurs européennes étant supposée être l’une des forces motrices de l’accord — la France est rapidement devenue un ardent défenseur public dans les jours qui ont précédé sa signature. Dans un mouvement inhabituel de rupture de protocole, Macron a rejoint la vidéoconférence où l’accord a été finalisé avec Merkel, von der Leyen, le président du Conseil européen Charles Michel et le président chinois Xi Jinping.

Plusieurs autres gouvernements de l’UE ont rapidement indiqué qu’ils ne partageaient pas du tout la confiance soudaine de la France dans les droits de l’homme dans l’accord et ont été alarmés par la menace qu’il représentait pour les relations diplomatiques avec la nouvelle administration Biden. Italie explicitement critiqué L’autopromotion de Macron en visioconférence.

En l’occurrence, la ratification de la CAI a été bloquée au Parlement européen sur ces questions précisément, ainsi qu’une diplomatie destructrice de Pékin par laquelle il a imposé des sanctions à un éventail de décideurs européens. L’épisode a laissé la politique commerciale de l’UE à l’égard de la Chine dériver et perdre sa crédibilité, et la méfiance durable des autres États membres concernant la tentative franco-allemande de passer par CAI et les éventuels motifs commerciaux impliqués. Von der Leyen elle-même a récemment admis que l’accord ne pouvait pas être conclu pour le moment sous sa forme actuelle.

Si d’autres initiatives stratégiques ou géopolitiques de l’UE ne doivent pas subir le sort du CAI, ceux qui les dirigent doivent faire plus de travail de fond sur la construction de l’unité européenne. L’intervention de Macron la semaine dernière semble avoir eu l’effet inverse. Essayer de faire rebondir un syndicat contenant des opinions disparates en adoptant une approche unique à un problème mondial déterminant n’est pas susceptible d’obtenir des résultats durables.

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