L’indispensable refonte des retraites d’Emmanuel Macron


Près de six ans après sa première victoire à la présidence française, Emmanuel Macron s’est lancé dans une refonte du système de retraite par répartition du pays, la mère de toutes les réformes d’un État-providence grinçant. Une tentative antérieure a été déraillée par la pandémie. À son crédit, Macron a placé le relèvement de l’âge de la retraite de 62 à 65 ans au centre de sa campagne de réélection l’année dernière, même si cela lui a coûté des voix à lui et à son parti.

Boucher un trou dans le système de retraite est un gage de crédibilité pour Bruxelles et pour les marchés financiers qui pénalisent à nouveau la mauvaise discipline. C’est aussi un test de ce que Macron peut encore réaliser lors de son second mandat après avoir perdu sa majorité parlementaire. Avec des tensions sociales exacerbées en période de crise du coût de la vie, peut-il moderniser le pays ou simplement le gérer ?

S’il reste inchangé, le système de retraite enregistrera des déficits annuels compris entre 0,4 et 0,8 % du produit intérieur brut au cours du prochain quart de siècle ; (il existe des scénarios de rentabilité plus bénins, mais ceux-ci supposent un miracle de productivité). Ce n’est pas un trou catastrophique : la cotisation minimale pour une retraite à taux plein est déjà assez exigeante à 41,5 ans – et elle grimpe à 43 ans – même si un âge de la retraite à 62 ans semble généreux. C’est pourtant un trou qu’il faut combler. Le ratio dette/PIB de la France est de 113 %. Macron a à juste titre exclu d’augmenter les impôts ou d’annuler les allégements fiscaux puisque la part fiscale de la France dans le PIB est déjà de 45%, la deuxième plus élevée de l’OCDE après le Danemark.

Reste deux paramètres : le gouvernement a choisi de relever l’âge de la retraite à 64 ans d’ici 2030 plutôt qu’à 65 ans et d’accélérer le passage à 43 ans de cotisations. C’est un compromis sensé. Cela ne fera pas grand-chose pour adoucir une réforme profondément impopulaire, mais devrait gagner l’opposition française de centre-droit, dont le soutien est nécessaire pour le passage au Parlement. La réforme des retraites est aussi un test de la pertinence du centre droit en tant que parti de gouvernement.

La France est une exception en Europe. Ses hommes partent à la retraite plus de deux ans plus tôt que la moyenne de l’UE, ses femmes un an. Profiter de la vie après le travail avec une pension décente fait partie du contrat social. Pour beaucoup à gauche et dans le mouvement syndical, c’est un totem de progrès social. Certains veulent revenir aux retraites à 60 ans, ce que François Mitterrand a instauré en 1982. L’espérance de vie des Français a grimpé huit ans depuis. Travailler une fraction de ces années semble raisonnable. Retarder l’âge de la retraite peut être inique pour ceux qui ont commencé à travailler et cotiser alors qu’ils avaient moins de 21 ans ou pour les travailleurs manuels. Mais la réforme garantit des retraites plus précoces pour ces catégories. Il rendra également le système plus équitable en offrant des pensions minimales plus élevées à ceux qui ont moins cotisé au cours de leur vie et en supprimant les prestations spéciales pour certains groupes qui ne les méritent plus. Ces améliorations sont rendues possibles par le report de l’âge de la retraite pour la majorité.

Il ne s’agit pas seulement d’un exercice budgétaire. La France a besoin de plus de personnes au travail pour augmenter la production et les recettes fiscales et financer les services publics. Cela signifie augmenter le taux d’emploi des seniors, qui est faible selon les normes de l’OCDE. Le gouvernement espère que l’âge de la retraite à 64 ans modifiera les incitations et la culture sur le lieu de travail. Il devra faire plus que cela pour s’assurer que les travailleurs âgés ne soient pas jetés à la ferraille et vers des allocations de chômage.

Ces réformes se heurteront à une forte opposition de la gauche et de l’extrême droite. Comme en 1995 et 2010, il y aura des grèves et des manifestations. Ce sera politiquement périlleux pour Macron. Cette réforme est moins ambitieuse que la refonte proposée en 2019, signe de son autorité amoindrie, mais elle n’en est pas moins indispensable.



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