vIvian Lamarque elle a plusieurs patronymes (Provera Pellegrinelli Comba) mais celui de son unique ex-mari, peintre, qui l’a encouragée à publier, a été conservé. Elle a une âme d’enfant, un regard profond et innocent lorsqu’elle s’occupe de ses fleurs, tandis que elle demande qu’à l’appui de cette interview, une vieille photo soit publiée (« ils mettent toujours les jeunes ! »). Il a eu une fille, des petits-enfants qu’il adore, un long parcours d’analyse (« comme mon docteur a travaillé dur ! »), des amours transfigurées en vers, des arbres-petits-amis. Chaque détail, un train, un houx, un film, devient sa poésie indubitabledécerné par l’Opéra de Viareggio avant 1981 au Cetona de 2018. Maintenant, il est dans la librairie avec la collection Vieil amour (Mondadori) car même la vieillesse est beauté, « les cheveux couleur de neige, la peau rayée comme de belles écorces, et certains qui t’aiment, et certains qui te donnent leur place dans le tram ».

Entretien avec Vivian Lamarque

Vivian Lamarque photographiée par Dino Ignani

Vraiment? Des termes tels que vieux, vieux, vieillesse, ont été supprimés au profit de senior, troisième âge, troisième fois. Les revendiquez-vous ?
« J’aime beaucoup le mot « vieux ». Il a un son sec comme des feuilles sèches et peut-être comme des os qui craquent. Je dis à tout le monde que j’ai quatre-vingts ans, alors ils me célèbrent et disent : « Comme c’est beau ! ». Si je dis 76, personne ne sourcille.

Parlez de tomber amoureux…
« Quelqu’un a écrit qu’il n’est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse. J’en suis la preuve vivante : je traverse souvent cet âge-là, il alterne avec le vrai et quand ça arrive il peut arriver que je tombe amoureux ou plutôt, comme je le dis dans un poème, qu' »un peu m’enchante ». La première section du livre (il y en a neuf) parcourt cet étrange territoire, « une sorte d’amour, un double d’aimer ». Cependant, je me garde bien de le dire à l’intéressé, qui voudrait jamais être aimé par un… octogénaire ?! ». Je célèbre aussi, très tranquillement, les anniversaires des rencontres».

L’amour à 80 ans, selon Vivian Lamarque

Borges a eu Maria Kodama, Norman Mailer a eu sa dernière passion, à quatre-vingts ans, pour Dwayne Raymond, Salman Rushdie a une petite amie, la poétesse Rachel Eliza Griffiths, de 31 ans sa cadette. Pourquoi pas elle ?
« Je sais que les octogénaires sont recherchés ! Mais je voulais dire 80 ans !!!”

Il a écrit: « Sur l’amour unilatéral brille toujours le même / dans le néon du soleil, il n’y aura pas de coucher d’étoile / jamais levé, jamais quitté jamais avoir été / aperçu ». Un amour non déclaré peut-il être aussi important qu’un vrai ?
«Dans les vers, ça semble presque fonctionner… Pourtant, les formes de l’amour sont infinies. Et chaque époque a la sienne. J’ai un souvenir d’il y a presque 70 ans, à la belle école primaire Pizzigoni, chaque élève avait une tâche : chaque matin, je devais vérifier les oreilles de mes camarades (sic) pour voir si elles étaient propres ! Pendant que je regardais dans celles d’un garçon nommé Giorgio, il a mis dans ma poche un mot qui disait « je t’aime »».

La couverture du livre Vieil amour, Mondadori. Vivian Lamarque a également publié récemment un livre pour les enfants de 5 ans et plus, petits animaux, Je vous aime (Solférino).

Y a-t-il une hiérarchie dans ses affections ? Fille, petits-enfants, fiançailles à sens unique, fleurs…
« L’ordre est presque exact mais incomplet : fiançailles, fleurs et animaux attachés, puis j’ajoute les films, la neige, les sapins de Noël, les trains… « Si tu t’assois dans le train / la tête en bas, la tête / tournée de là , tu vois moins / la vie qui vient, tu vois mieux / la vie qui s’en va ».

Une vie marquée par le « sentiment d’orphelin »

Son histoire est marquée par l’adoption, par la recherche de sa mère (et de son père), par « se sentir orpheline ». Comment est-il devenu poésie ?
« Plus que l’adoption elle-même, elle est marquée par les nombreuses anomalies de cette adoption. Heureusement, je ne suis pas passé par des institutions. J’ai passé les neuf premiers mois avec une mère vaudoise et des petits frères. De ses mains je passais directement aux mains de l’autre (les petits frères demandaient : « Et Viviane ? ». « Elle est allée au ciel, disons nos petites prières »). La première était d’une famille importante (elle m’a laissé comme illégitime), la seconde ne l’était pas, la pauvre a eu une enfance à Albero degli zoccoli. Au bout de trois ans, le jeune père adoptif meurt dans un accident de voiture. Il m’avait adoré et je l’avais adoré. A dix ans, j’ai appris que j’étais adopté, je n’ai pas osé le dire à la nouvelle maman et elle n’a pas osé me le dire. Théâtre fatigué. Ce n’est qu’à mes 19 ans que la vérité a explosé. Des années de recherche pour les origines se sont succédées, je les ai tous retrouvés, très surpris et heureux les frères des petites prières, à la place la famille paternelle pour rien. J’ai fréquenté la mère naturelle en cachette. Plus je la fréquentais, plus elle sortait de mon imagination, mieux je pouvais aimer son adoptive. Dans mon avant-dernier livre, Mère de l’hivertout cela circule ».

Poésie et analyse, qu’importe ?

La poésie est-elle le résultat de la douleur ou le remède ? Et qu’est-ce qui vous a le plus aidé : la poésie ou l’analyse ?
« Jusqu’à 38 ans la poésie m’a beaucoup aidée, puis la poésie aussi me rendait malade, elle m’éloignait de la réalité, l’analyse jungienne m’a sauvé ».

La vieillesse et l’enfance ont beaucoup en commun. Comment garde-t-il son enfant lui-même ?
« Ce n’est pas moi qui veux garder l’enfant, c’est lui qui, réduit au silence dans l’enfance, est désormais enfin déchaîné, ne se tait plus ».

Écrit-elle sur les hommes qu’elle a aimés ou même sur ceux qu’elle aurait aimé aimer ?
«Toutes réelles, les aimées silencieuses comme les autres : je suis autobiographique. L’écriture intervient sur les mots, les faits sont toujours tous tels qu’ils sont».

Être fille, épouse, mère, grand-mère : qu’est-ce qui vous a le plus influencée ?
« Au cours des dernières décennies, la plupart de ma poésie a été écrite au nom d’une absence, pas d’une présence. Maintenant, grâce à l’analyse, le panorama a changé, il y a beaucoup de chères présences, à la place le rôle de l’absent… Je pense que ce sera mon tour !»

Vivian Lamarque, la mort et l’ironie

Mais dans le livre le thème de la mort est aussi traversé de doses massives d’autodérision, on rigole : « Être incinéré ou enterré ? est un incipit, et pourtant tu souris. L’ironie aide-t-elle à alléger vos émotions ?
«C’est une arme naturelle, pour l’autodéfense, je suppose que je l’ai eu lors d’une journée difficile en mer. J’en ai même retrouvé la trace dans une dissertation de troisième, sur mon père perdu à l’âge de quatre ans : plein de belles petites pensées d’éloges et de nostalgie, puis la patte finale inattendue (une figure de mon poème selon de nombreux critiques) :  » Il y a des amis morts de mon père, mais très peu ». Traduction : seul mon père est mort, malheureusement pas tous les autres !»

Qu’a-t-elle regretté ? Avoir peu aimé ? Trop? Pas assez?
«A cette question presque tout le monde répond « Je recommencerais ». Je ne peux pas comprendre. Nous faisons tellement d’erreurs, combien de souffrances nous causons. Moi chassant qui n’était pas là et perdant de vue qui était là, à un pas. C’est ainsi que commence un de mes poèmes : « Pouvoir demain / commencer la feuille de beauté / de vie / corriger le laid annuler… » ».

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