Une Europe méfiante accueille avec soulagement le poste de Premier ministre de Sunak


L’écrivain est chroniqueur au Monde et membre de l’Académie Robert Bosch de Berlin

D’un point de vue européen, la seule bonne nouvelle en provenance de Londres est venue dimanche lorsque Boris Johnson a fait savoir qu’il ne se présenterait pas à la direction du parti conservateur. « Après deux jours difficiles compte tenu de la possibilité de son retour, ce fut un grand soulagement », a admis un haut responsable de l’UE.

Ce n’est pas que Liz Truss nous manquera – tous les premiers espoirs de bonne volonté de son gouvernement dans les relations avec l’UE s’étaient rapidement évaporés. Mais devoir à nouveau faire face aux bouffonneries de Johnson était plus que Bruxelles ne pouvait supporter.

Puis vint une autre cause de soulagement : l’acclamation de Rishi Sunak en tant que prochain Premier ministre. Dans les cercles européens, Sunak était considéré comme la voix de la raison au sein du gouvernement Johnson et le plus réticent à s’engager dans une guerre commerciale avec Bruxelles. Lorsque le chaos frappe, vous vous rassurez là où vous le pouvez.

Pour de nombreux Européens, la seule surprise du chaos politique et économique britannique de ces dernières semaines est l’absence de débat sur sa véritable cause : personne ne semble blâmer le Brexit.

De l’autre côté de la Manche, le Brexit est l’éléphant dans la pièce. Six ans plus tard, l’opinion qui prévaut dans l’UE est qu’il s’agissait, comme l’a dit l’ancien président français Nicolas Sarkozy la semaine dernière, « d’une aberration majeure aux proportions historiques ».

Le Brexit est devenu la meilleure publicité pour l’adhésion à l’UE – les politiciens populistes, de l’Est et de l’Ouest, ont maintenant abandonné toute prétention de quitter le bloc. En effet, de nombreux observateurs attribuent à l’expérience du Brexit le mérite d’avoir convaincu le nouveau Premier ministre d’extrême droite italien, Giorgia Meloni, de renforcer ses références européennes. Comparer la Grande-Bretagne à l’Italie est définitivement injuste – la dernière chose que l’Italie souhaite est de finir comme la Grande-Bretagne.

« Le Brexit était basé sur un acte d’une immense stupidité », déclare un dirigeant européen (sous couvert d’anonymat). « Il a été vendu par des politiciens qui promettaient une sorte de grand Singapour mais voté par des gens mécontents de la mondialisation. » Comme le chef l’a précisé, il s’agit d’un mandat impossible à remplir.

Aucune des promesses du Brexit n’a pu être tenue. La City de Londres n’a pas pris le contrôle de la finance mondiale, les investissements étrangers n’ont pas afflué, les grands accords de libre-échange n’ont pas pu être conclus. Les ambitions du Brexit se sont heurtées aux conditions du monde réel : une pandémie, la montée du protectionnisme, les tensions avec la Chine et la guerre en Ukraine.

Enfin, les marchés financiers ont repris le contrôle. « C’est ce qui se passe lorsque vous coupez votre pays de votre marché le plus grand et le plus important », a noté le député libéral allemand Alexander Lambsdorff. « Le Brexit dévore ses enfants. »

Pourtant, il n’y a aucune schadenfreude de la part de l’UE à propos de cette blessure auto-infligée. Les déboires de la Grande-Bretagne sont un autre défi pour la position de l’Occident sur la scène mondiale. Un processus de sélection qui envoie des premiers ministres non élus à Downing Street ne reflète pas bien la force des systèmes démocratiques à deux semaines des élections de mi-mandat aux États-Unis, où le droit de vote sera à nouveau un gros problème. La baisse de la participation, l’affaiblissement des partis politiques et la perte de confiance dans les institutions politiques sont devenus une caractéristique commune des démocraties occidentales.

La Grande-Bretagne a peut-être quitté l’UE, mais pas la tendance populiste qui a amené le Brexit. De nombreux gouvernements européens sont aux prises avec des coalitions fragiles, y compris avec des partis d’extrême droite qui prétendent être devenus dominants.

En France, le Rassemblement national de Marine Le Pen compte désormais 89 députés à l’Assemblée nationale. Ils regardent avec envie la victoire électorale du parti post-fasciste de Meloni, Frères d’Italie. La bonne volonté déclarée de Meloni envers les dirigeants européens met certains d’entre eux, comme Emmanuel Macron, dans une position délicate. Son idéologie la rapprochera de la direction polonaise plus que du tandem franco-allemand — qui, soit dit en passant, traverse une mauvaise passe.

Si Sunak fait les bons choix, le puissant choc de la guerre en Ukraine, qui a bouleversé tant de dynamiques internes européennes, pourrait en fait pousser Londres et l’UE à reprendre les pourparlers et à résoudre leurs différends restants.

Le voyage de Truss à Prague pour participer au sommet de 44 pays européens au début du mois, une initiative française, a été considéré comme une étape positive sur laquelle les dirigeants européens voudront s’appuyer. Sunak et Macron, tous deux anciens banquiers au début de la quarantaine, pourraient trouver une alchimie.

Pendant ce temps, tout en étant parfaitement consciente que le Brexit est là pour durer, l’UE a entamé un dialogue avec le parti travailliste. Juste au cas où une élection générale arriverait plus tôt que prévu.



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