Réparation pour la conscience ? « C’est difficile d’affirmer qu’il a appris à son peuple à penser comme les suprématistes blancs »


Il était autrefois l’homme qui a appris à lire à son peuple, mais maintenant la réputation d’Hendrik Conscience a été ternie. Aujourd’hui, l’historien littéraire Kevin Absillis propose une réparation audacieuse mais convaincante.

Bart Eeckhout15 octobre 202215:46

Un garçon blond se tient près de la statue de Hendrik Conscience (1812-1883), avec le Suske & Wiske-album La plume d’oie dorée dans la main. Un petit choc me traverse quand je vois l’image dans La mauvaise conscience des Flandres par Kévin Absillis. Ce garçon avec le toit de chaume sur la tête, ça aurait pu être moi.

L’affiche fait partie d’une tournée commémorative que l’Association flamande du tourisme a organisée en 1983 pour le centième anniversaire de la mort de Conscience. L’affiche me ramène à l’époque où cette tournée a emmené mes parents et moi-même dans une ferme forestière à Zoersel, où Hendrik Conscience a raconté son histoire Le dessin et j’ai mangé du riz au lait avec de la cassonade et Suske & Wiske lis.

En tant qu’enfant d’une famille Flamingant, j’ai réussi à convaincre ma classe de faire une adaptation scénique de l’oeuvre standard de Conscience Le lion de Flandre sur la base de ce que l’on a pu retenir de l’adaptation cinématographique d’Hugo Claus, déconseillée aux yeux d’enfants. A l’université cède la lecture obligatoire du presque illisible Le lion une aversion durable pour moi par la suite. De même, en Flandre, deux camps irréconciliables s’opposent quant à la signification culturelle d’Hendrik Conscience.

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Le fait que ses livres soient devenus littérairement indigestes est le moindre problème pour les discours progressistes, de Saskia de Coster à Marc Reynebeau. Ils voient surtout dans Conscience l’homme qui a appris à son peuple à se méfier de l’étranger, l’ancêtre culturel d’un nationalisme borné et souvent xénophobe. Après tout, pas de Shield & Friends sans Conscience. Le mouvement d’extrême droite tire son nom du code de l’in Le lion de Flandre décrivait les Matines brugeoises. Des nationalistes encore plus civilisés comme Bart De Wever tentent de recouvrer la conscience. Dans le mépris progressif, ils voient la preuve de la « haine de soi » pour leur propre héritage.

Affiche pour une tournée commémorative que l’Association flamande du tourisme a organisée en 1983 pour le centième anniversaire de la mort de Conscience.image rv

Le résultat de cette lutte culturelle est que Hendrik Conscience a complètement disparu de la vie publique, à l’exception de quelques statues et noms de rues. Ses livres ne sont plus réimprimés et peu lus. Dans le « canon » récemment publié de la littérature néerlandaise se termine Le lion toujours à la 48e place, juste avant Joe hors-bord par Tommy Wieringa. Aujourd’hui, presque quarante ans plus tard, une année commémorative comme en 83 est devenue impensable.

Et si les deux camps avaient tort ? Kevin Absillis défend cette position dans La mauvaise conscience des Flandres. Avec des arguments solides et une bonne dose de contradiction, le lettré anversois s’attaque à la double strate des préjugés. Absillis arrive à la conclusion que l’auteur de Le lion de Flandre n’était pas un pionnier d’un nationalisme exclusivement flamand, encore moins en y implantant le péché originel de la xénophobie et de l’autoritarisme. La conscience ne rentre pas dans le rôle qui lui est assigné de pionnier de l’extrême droite.

Prenez Shield & Friends. Inspiré par Jacob van Artevelde (autre ouvrage de Conscience) ces jeunes d’extrême droite ont tenté d’occuper le Gravensteen à Gand comme un coup de théâtre. Mais dans l’œuvre de Conscience, la chevalerie est souvent délaissée, au profit de la classe bourgeoise émergente. C’est aussi le principe de Le lionavec les chefs de guilde Jan Breydel et Pieter de Coninck dans les rôles principaux.

Ce n’est pas un détail. Le sentiment anti-français qui imprègne une partie de l’œuvre de Conscience n’est pas de nature raciste, mais anti-impérialiste. La critique vise l’abus de pouvoir du dirigeant étranger, et non son « impureté raciale ». En fait, Absillis conclut : « L’hostilité française a fonctionné dans la littérature flamande comme un moteur de tolérance culturelle et de solidarité internationale », avec d’autres peuples ou communautés opprimés ou colonisés.

Paternaliste, sentimentale et souvent stéréotypée : l’œuvre de Conscience n’est pas sans poser problème, surtout pour les yeux contemporains. Mais l’empathie avec les étrangers en situation précaire, comme avec le personnage noir Congo dans le roman récemment contesté Batavia, montre qu’il est également difficile de soutenir qu’Hendrik Conscience est l’homme qui a appris à son peuple à penser comme les suprématistes blancs. Comment a-t-il acquis cette mauvaise réputation ?

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Récupération

Absillis reconstitue habilement comment l’écrivain s’est « radicalisé à titre posthume », ainsi que le mouvement flamand dont il a bien été l’inspirateur. Les histoires de chevaliers s’avèrent très appropriées pour projeter des idées autoritaires de droite. Cela a rendu Conscience particulièrement vulnérable à la récupération par la suite, éventuellement même par le SS Vlaanderen dans une campagne du front de l’Est. A l’inverse, cette reprise a rendu tentant pour les faiseurs de discours culturels de l’après-guerre, de Boon à Claus, de s’accommoder de leur prédécesseur célèbre mais encore difficile à lire.

Cette lisibilité difficile ne disparaîtra pas. Même après la tentative nuancée de réparation d’Absillis, Le lion de Flandre ou Les gars de Flandre ne pas être soudainement serré contre le sein. Mais la stigmatisation a disparu. Hendrik Conscience peut reprendre sa place dans l’histoire littéraire, sans que personne n’ait à dire un « j’accuse » furieux ou un « désolé » gêné.

Kévin Absillis, La mauvaise conscience des FlandresFonds David, 287 p., 27,99 euros.



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