Coucou Eline, comment s’est passée la nuit dernière à Bastia ?
« C’était calme ici hier soir et ce matin. Je me promène maintenant dans les rues de Bastia, la deuxième plus grande ville de Corse. Au coin de la rue se trouve une école secondaire, qui a été bloquée par des étudiants protestataires pendant des jours. Je vois toutes sortes de groupes de jeunes, des poubelles renversées et des sacs poubelle brûlés.
« C’est un contraste avec les images de dimanche. A Bastia notamment, les émeutes dégénèrent ce soir-là. Désormais, les rues de la ville sont à nouveau idylliques, avec des murs ocres et des volets aux teintes pistache. Un peu d’italien.
Que s’est-il passé sur l’île ces derniers jours ?
« Certains lycées sont bloqués par des jeunes depuis près de quinze jours. Dans la plupart des villes, les gens se rassemblent devant la préfecture, le bâtiment du gouvernement local. De plus, des manifestations ont été organisées dans plusieurs villes ces derniers jours.
« La raison des manifestations est un incident qui s’est produit à la prison d’Arles dans le sud de la France. Yvan Colonna y est piégé, l’homme qui a assassiné le gouverneur Claude Erignac il y a des années. Le 2 mars, un autre détenu a tenté d’attacher un sac autour de la tête de Colonna et de l’étouffer. Depuis, Colonna est dans le coma. Ici, en Corse, ils veulent une enquête sur le mobile du djihadiste.
« Le fait que les manifestations reçoivent désormais également plus d’attention dans les médias français est dû au fait qu’une manifestation à Bastia dimanche est devenue complètement incontrôlable. Il y a eu de violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. De nombreux cocktails Molotov ont été utilisés. Des boules de pétanque servaient également d’armes. Ces balles lourdes – presque des balles en elles-mêmes – ont été coupées et remplies de matière explosive.
Comment une rixe dans une prison en Corse peut-elle conduire à une telle explosion de violence ?
« Pendant des années, Colonna a été incarcéré en Corse pour se rapprocher de sa famille. Parce qu’il a un statut spécial en tant que prisonnier, cela n’a pas été autorisé par l’État. En prison, il est sous contrôle permanent. Mais, disent les Corses, comment est-il possible qu’un codétenu djihadiste ait pu le harceler plus de cinq minutes ?
« Hier, j’ai parlé à un propriétaire de restaurant ici. Il n’était en aucun cas un combattant de l’indépendance. Mais, a-t-il dit, si vous regardez la chronologie des événements, cela ressemble à un calcul de l’État français. Cela peut ressembler à une sorte de théorie du complot, mais cette suspicion est pleinement ressentie ici. Ils ne savent tout simplement pas ce qui s’est passé exactement. »
Les sentiments pour l’indépendance de la Corse jouent-ils aussi un rôle dans les émeutes ?
« Il semble que la lutte pour l’indépendance ne l’emporte pas dans le mouvement de contestation. La plupart des manifestants veulent montrer leur solidarité avec Colonna et sa famille. En même temps, il y a une insatisfaction latente qui éclate de temps en temps. On a le sentiment que la Corse est traitée avec un certain mépris par le gouvernement français. En ce sens, l’affaire Colonna est la mèche dans le baril de poudre. Les Corses veulent tous plus d’autonomie.
« Depuis plusieurs années maintenant, le gouvernement de l’île est aux mains des autonomistes. On espérait qu’ils représenteraient mieux les intérêts corses, mais cela n’a pas beaucoup changé, disent-ils. Certains Corses ont le sentiment que les ressortissants de la métropole qui s’installent en Corse « s’emparent » de leur île, mettant l’identité corse sous pression.
Pendant ce temps, le gouvernement ouvre la voie au transfert de certains prisonniers corses vers l’île. Selon le journal Le Monde crée ça le « précédent dangereux » que la violence paie† Comment voyez-vous cela?
« Je trouve cela difficile à dire. Certaines des personnes à qui j’ai posé la question disent que déplacer les prisonniers peut apaiser les troubles. D’autres disent que le gouvernement est déjà trop tard. Mercredi et jeudi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin se rendra sur l’île. La seule chose qu’il puisse faire pour calmer les choses, c’est de libérer ces prisonniers, disent certains.
« Il faut aussi se poser la question : d’où vient cette violence ? j’ai dû penser aux émeutes du couvre-feu aux Pays-Bas. Le Premier ministre Mark Rutte a alors déclaré qu’il n’avait pas besoin d’une enquête sociologique sur les motivations des émeutiers. Je pense qu’il faut vouloir comprendre cela, même lorsque les gens utilisent la violence. D’autant que cette contestation en Corse est dessinée par des écoliers et des étudiants.
Les troubles en Corse affecteront-ils encore les élections présidentielles du mois prochain ?
« Je ne pense pas. Le président Emmanuel Macron est assis très fermement en ce moment. Il est constamment en tête des sondages, d’autant plus depuis la guerre en Ukraine. Le sentiment que les résultats des élections sont déjà décidés est largement partagé, ici aussi en Corse. Le soutien à Marine Le Pen, qui semble être l’adversaire de Macron, est ici assez large. Mais en Corse (plus de 300 000 habitantsndlr) ils disent aussi eux-mêmes : nous sommes trop peu nombreux pour influencer le résultat.
« Pourtant, la Corse pourrait devenir un énorme dossier d’inquiétude pour Macron. Cela m’a rappelé le mouvement des gilets jaunes, qui a signé sa présidence. Il s’agissait également d’un sentiment d’injustice et de ne pas être vu par l’État. En Corse, la contestation est beaucoup plus restreinte, mais reste à voir comment elle va évoluer.