Bflanquer la crinière, forte et retentissante la voix, décisive et sûre les jugements: il n’y a pas de doutes ou de danse diplomatique, e il ne renie rien de son passé, y compris des films ignorés du public ou massacrés par la critique. “Ils m’ont appris à éviter certaines erreurs et ils m’ont encouragé à m’améliorer en tant que cinéaste.”
Vous l’écoutez avec respect, vous l’admirez. Claude Lelouch appartient à cette génération de cinéastes qui ont su et savent tout faire: écrire, tourner, monter un film, s’occuper des lumières, produire. Et surtout risquer en permanence, sans jamais baisser les bras. Un exemple parmi tous : quand en 2004 Les Parisiens a été maltraité par la presse – le Monde l’a qualifié d’« indigeste », Libération de « lamentable désastre » – le réalisateur a décidé d’ouvrir gratuitement 400 salles en France à qui voulait le voir. Son film le plus récent est L’amour c’est mieux que la vie – il prétend que c’est le dernier, mais cela semble irréaliste.
Claude Lelouch, sous les projecteurs depuis 1966
Âgé de quatre-vingt-cinq ans en octobre prochain, Lelouch est sous les projecteurs internationaux depuis l’époque de Un homme, une femme – Oscar en 1966 du meilleur scénario. Sa vie est un roman d’aventures, depuis qu’il était jeune garçon tournait déjà avec l’appareil photo que lui avait donné son père, puis les courts métrages pendant ses années de service militaire, et encore les documentaires qu’il a écrits, réalisés et tournés à toute vitesse. Pendant une saison, il fut le plus populaire des auteurs français.
Nous l’avons rencontré lors de la présentation du documentaire Tourner pour vivre réalisé par Philippe Azoulay, qui l’a suivi et filmé pendant neuf ans. « Une aventure humaine et spirituelle » explique Lelouch avec enthousiasme, où l’on croise des collaborateurs et acteurs – Anouk Aimée, Jean Lous Trintignant (récemment décédé, ndlr), Johnny Hallyday, Christopher Lambert, et des admirateurs tels que Quentin Tarantino et Karl Lagerfeld.
De son bureau-musée il collectionne des centaines de récompenses, Lelouch nous parle de son univers, de sa vision de réalisateur encore et toujours à la recherche d’expériences et d’émotions nouvelles. C’est sa curiosité inépuisable pour la nature humaine qui l’oblige à réfléchir, par l’image, sur la réalité qui l’entoure.
C’est en 1966 que le succès retentissant de Un homme, une femme fait d’elle, alors semi-inconnue de vingt-neuf ans, une héroïne du cinéma français et international. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé, Claude Lelouch continue de produire et de tourner des films. Est-il plus facile ou plus difficile d’être cinéaste aujourd’hui ?
Ni plus facile ni plus difficile, il n’y a pas d’hier, d’aujourd’hui et de demain, il y a du bon et du mauvais, il y a des hauts et des bas, comme toujours. Mais quand j’ai commencé dans les années 60, ce n’était pas si simple, il fallait bien connaître le cinéma et ses techniques. Aujourd’hui, vous avez sept milliards de réalisateurs potentiels, n’importe qui peut avoir une caméra et faire un film. Il suffit de penser que la grande majorité des images de la guerre en Ukraine sont filmées avec l’iPhone. Dans les années où j’ai couru Un homme, une femme Ce n’était pas comme ça.
Il était enfant pendant la Seconde Guerre mondiale, a été capturé par les nazis avec sa mère et envoyé à Dachau. Certains traumatismes sont indélébiles. Comment vivez-vous la guerre en Ukraine maintenant ?
Je ne veux pas penser à une autre guerre mondiale, j’espère juste que les deux parties décident de s’entendre, car sinon une catastrophe cosmique, la fin du monde, est inévitable.
Il écrit et réalise tous ses films, mais parfois il produit des films pour d’autres, comme dans le cas de Les Seacrets par Philippe Azoulay. Comment se décide-t-on pour un projet ?
Je ne me pose jamais trop de questions, j’aime le cinéma et j’aime faire des films. Je ne peux pas l’expliquer autrement : pourquoi aimes-tu encore la femme avec qui tu vis ? Ce n’est pas une question rationnelle, c’est la même chose avec les films. Je le fais parce que ne pas le faire reviendrait à trahir ma passion pour le cinéma. Chaque jour de ma vie, je fais un film. Depuis plus de soixante ans, il n’y a pas eu un jour où il n’a pas utilisé l’appareil photo, le classique ou le téléphone portable. Et je ne le fais pas pour le public, mais pour moi, parce que je vois quelque chose qui m’intéresse, ou dont j’aurai peut-être besoin à l’avenir. Je suis toujours intrigué par le monde qui m’entoure, alors je vis avec l’appareil photo à la main.
Elle n’a jamais caché son amour pour les femmes, à l’écran et dans la vie. Il a eu trois femmes, deux compagnes et, sur ses sept enfants, cinq sont des filles. Qu’avez-vous appris d’eux ?
Tout, elles m’ont tout appris : je crois profondément aux femmes, et je leur fais confiance. Quand je les ai autour de moi, je me sens bien, vital. Dieu a créé les hommes et les femmes, il s’est trompé avec le premier mais grand avec le sexe féminin. Vous êtes son grand succès. (des rires)
Il prétend être un amateur, pas un professionnel. Mais après un demi-siècle de métier et cinquante films, il devient difficile de la croire.
Un amateur sait et sait ce qu’il fait : il sait filmer, utiliser la caméra et les lumières, faire le montage, il sait tout parce qu’il doit tout savoir. Le professionnel est plus spécialisé, c’est une différence substantielle. Ensuite je fais un film parce que j’ai envie de le faire, dans un sens c’est une forme d’égoïsme. C’est pourquoi j’ai toujours eu une société de production, je choisis des projets, trouve des financements et tourne. Bien sûr : j’ai fait 51 films, on peut m’appeler un professionnel, mais mon approche est toujours celle d’un amateur, je n’ai jamais changé.
Depuis l’époque du service militaire…
C’était même mon école. Pour la première fois, j’avais de grosses caméras, du film et une vraie équipe à ma disposition. J’ai utilisé de mauvais acteurs et là j’ai compris à quel point c’était basique d’avoir des interprètes authentiques et de savoir les guider. J’ai surtout appris à être indépendante et à quel point la liberté artistique est importante.
Aujourd’hui il est de plus en plus fréquent de voir des films en streaming et de nombreux auteurs travaillent sur des séries TV. Êtes-vous intéressé à essayer ce chemin?
Je ne suis pas un grand fan de la série, le procédé est plus industriel et moins artistique. Vous pouvez changer de réalisateur d’épisode en épisode, sans même que le public s’en rende compte. Le metteur en scène a perdu de sa notoriété et de son prestige, seuls les acteurs et les producteurs comptent ; en effet le réalisateur est leur esclave, il n’a pas de point de vue personnel.
Le niveau artistique de la production cinématographique a-t-il donc baissé ?
Il y a, c’est vrai, moins de mauvais films, mais il y a aussi moins de chefs-d’œuvre. Nous vivons et travaillons dans une bulle moyenne. Mais pouvez-vous imaginer Fellini aujourd’hui aux prises avec une émission de télévision ? De plus, nous devons sauver l’industrie privée et les cinémas.
Je ne peux pas résister, je ressens toujours l’envie de lui poser une question sur Un homme, une femme. « Sciabadabadà », la BO de Francis Lai, est désormais une légende, je me surprends à la fredonner quand je m’y attends le moins.
Ce n’est pas le seul. Aujourd’hui encore, je continue à considérer la musique comme un élément essentiel de mes films : les mots vont au cerveau, la musique parle au cœur, et je cherche un équilibre entre les deux formes. Mais seule la musique, cependant, peut transporter le public au paradis : cela se ressent aux expressions faciales des spectateurs.
Ses films ont souvent été ciblés par la critique. Qu’est-ce qui changerait aujourd’hui si vous pouviez revenir en arrière ?
Je n’ai aucun regret, pas même un seul. J’ai fait tous mes films en suivant des intuitions et des émotions momentanées. J’ai fait des erreurs et certains films ne se sont pas déroulés comme je les imaginais. J’ai connu des déceptions, mais quand j’ai fait le mauvais choix c’était toujours de bonne foi. A chaque fois je me précipite comme un chat, espérant atterrir fermement sur mes pattes, mais ça n’arrive pas toujours. Par contre, seules les erreurs permettent de s’améliorer, et ce sont les erreurs qui m’ont permis de tourner Un homme, une femme.
Regard sur Tourner pour vivre on sent son amour pour le quotidien : il le filme avec plaisir. Vous souvenez-vous d’un moment particulier ?
Le jour où mon père est mort. Il a eu une crise cardiaque et je l’ai tenu dans mes bras. J’avais 22 ans et je voulais mourir aussi. Au lieu de cela, j’ai pris la caméra et je l’ai filmé dès qu’il est parti. J’ai su alors que j’avais une carrière devant moi. J’ai passé toute la nuit avec mon père, à le regarder et à l’écouter : même s’il ne pouvait plus me parler, il m’a confié tant de choses pour la première fois. C’est là que j’ai réalisé que nous devions passer plus de temps avec nos morts. Et que de nombreuses images et situations dans les films sont inspirées par ceux qui ne sont plus là. Les rêves ne tombent pas du ciel par hasard…
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