Cher Laurens De Vos

Cette semaine, vous avez publié un article d’opinion sur le danger du soi-disant mouvement éveillé pour la liberté artistique et plus particulièrement la capacité à sympathiser avec le théâtre. Vous mettez en garde le lecteur contre ce que vous appelez la « police de la pensée », « l’église morale » et « la pensée identitaire dépassée ».

On m’a demandé de répondre à cela. Bien que la pièce m’ait mis en colère, je n’ai pas immédiatement eu envie de vous fournir une réponse enflammée. Vous avez déjà rejeté toutes les voix ou réactions dissidentes possibles comme hystériques et dangereuses. En me joignant à cette conversation, je sers inévitablement de preuve de votre frustration, de cette énième censure contre laquelle vous pouvez lutter héroïquement. Donc un rôle très ingrat. D’un autre côté, quelqu’un doit vous dire à quel point il est étrange d’avoir une demi-page dans l’un des plus grands journaux du pays disant que vous ne pouvez rien dire ? Que vous en accusiez un autre avec un ton de grande suffisance morale ? Ou que vous utilisez l’empathie et l’empathie au théâtre comme alibi pour mépriser l’empathie et l’empathie dans le débat qui l’entoure ?

De plus, les situations que vous citez ne sont pas seulement caricaturales mais parfois purement mensongères. À l’exception de la droite en progression, par exemple, personne n’est prêt à interdire la fluidité des genres sur scène ou à interdire les enseignants à la moindre réfutation à leurs élèves.

Vous êtes professeur d’histoire du théâtre, alors je n’ai pas à vous dire ceci : le théâtre est un lieu de changement constant. Le théâtre rivalise avec le temps depuis des siècles. Après la Seconde Guerre mondiale, il a été proclamé avec une grande certitude sur scène qu’il fallait tout détruire : la hiérarchie, la fiction, la vérité. Les créateurs de théâtre postmoderne pensaient que c’était un antidote approprié à ce qui se passait autour d’eux. À d’autres moments, la «bête dans l’homme» était recherchée avec un militantisme égal et tout le reste était appelé «bourgeois». La créativité et la liberté artistique sont par définition soumises aux interrogations de l’époque, qui nous offrent en même temps de nouveaux espaces créatifs et des réponses artistiques. En tant qu’historien, vous regardez le passé avec admiration. Mais quiconque comprend vraiment le théâtre et son histoire ne devrait pas figer le médium.

Les créateurs de théâtre n’ont plus l’impression de pouvoir regarder de côté : ils ne veulent pas une place en dehors de la société, mais veulent être en plein milieu de celle-ci. A bonne distance du monde complexe, le théâtre peut en effet être un lieu où en théorie « tout devrait aller ». En tant que membre d’une société, vous expérimentez à quel point ce désir théorique peut être inspirant et parfois douloureusement erroné. Les créateurs de théâtre recherchent le véritable pouvoir de transformation de leur médium. Ce faisant, ils ne tournent pas du tout le dos à la fiction, mais ils veulent créer le genre de fiction qui dit : ça n’a pas à être comme ça† Une fiction qui propose des alternatives dans un monde profondément influencé par le néolibéralisme il n’y a pas d’alternativediscours. ‘Woke’ ne recherche donc pas une stricte authenticité et un réalisme dogmatique, il ne demande qu’une responsabilité et une prise de conscience des lieux que vous créez. Il n’y a pas de chat qui, comme vous le prétendez, souhaite que Hamlet soit joué uniquement par « un prince danois mélancolique avec un complexe d’Œdipe ». Aujourd’hui, on étudie qui, quoi et pourquoi Hamlet peut être. Ou non. Oui, ces questions limitent parfois, mais elles livrent certainement.

Laurent, ça n’a pas à être comme ça† A chaque phrase que j’écris et relis ici, je trouve de plus en plus ennuyeux de jouer dans cette pièce de théâtre désormais banale. L’histoire médiatisée dans laquelle un faiseur d’opinion en colère déclare haut et fort que les choses allaient mieux avant et qu’on le réduit au silence. Qu’un autre faiseur d’opinion soit alors appelé à répondre que les temps n’étaient pas meilleurs dans le passé, certainement pas pour les minorités. Que c’est bien que les commentaires sortent par des bouches bâillonnées depuis longtemps.

Une telle polémique est devenue un business model pour les journaux mais ne génère en aucun cas un débat innovant : elle ne fait de nous que des caricatures sans espoir de nous-mêmes. Si nous ne faisons pas attention, nous continuerons à nous enfermer et à nous enfermer les uns les autres dans ces rôles clichés, mal écrits et déformés.

Ne pouvons-nous pas admettre que ce serait bien de pouvoir échapper aux regards coercitifs de l’autre et que nous devons être sévères et motivés pour le faire ? À l’intérieur et à l’extérieur du sol du théâtre.

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