RÉ.devant le miroir, dans le dressing, deux photos en noir et blanc. L’un a un cadre en forme de cœur. « C’est la femme la plus importante de ma vie : la grand-mère », explique-t-il Gabriele Laviasatisfait de la coup de théâtre. «Il était instituteur, pour la Sicile de l’époque il s’est émancipé. Son nom était Carmela, petit-fils de Francisco Martínez de la Rosa, le plus grand dramaturge romantique espagnol. Enfant, Pirandello me lisait. Lorsque j’ai mis en place le Six personnages en quête d’auteur, j’ai trouvé un livre dans lequel il avait mis l’accent sur le rôle du père ; dans son exemplaire de Le bonnet à hochet il avait souligné les paroles de Ciampa et, dans celle de La Mouette Celui de Tchekhov, celui de Konstantin… Les trois rôles que je m’étais choisis ! Il avait visiblement une relation avec l’aruspice », s’amuse-t-il le réalisateur-acteur, infatigable à la veille de ses 80 ans (il les tourne le 11 octobre) : il vient de réaliser avec succès L’Othello Verdi à la Communale de Bolognese prépare pour la tournée de Les fables d’Oscar Wilde reprendre, en octobre, le capuchon.

Gabriele Lavia (Getty Images).

« Les femmes sont les héroïnes »

C’est la cinquième fois qu’il amène Pirandello sur scène. Qu’est-ce qui vous attire, en particulier ?
Toute sa philosophie du masque, de l’éclatement de l’identité, de la distance entre être et paraître… Dans une société qui vit dans le mensonge, les seuls personnages qui ne supportent pas l’hypocrisie sont les féminins. Qui se rebelle. Ses héroïnes sont des femmes. je crois que L’histoire du fils changé est l’un de mes spectacles les plus heureux. Je n’ai pas opté pour la fin habituelle, mais j’en ai fini avec le cri : j’ai peur ! J’ai peur!

De quoi as-tu peur?
Ne pas retenir les répliques, même si Rainer Maria Rilke disait qu’« il est important de se souvenir, encore plus important d’oublier » (sur scène, chaque phrase doit sembler être prononcée pour la première fois). J’ai peur de mourir, la mort approche maintenant : c’est une bonne éducation à 80 ans de ne pas y penser, mais il faut savoir qu’elle est là… Bien que mes cheveux ne blanchissent pas, je les ai pris à ma mère (sourit).

Comment va-t-il célébrer ?
Je n’ai jamais fêté un anniversaire. L’idéal serait de rester à la maison avec ma femme (l’actrice Federica Di Martino, éd), recevez les meilleurs voeux de mes enfants (Lorenzo, eu par sa collègue Annarita Bartolomei; Maria et Lucia, nées du lien avec Monica Guerritore, éd). Pour autant, je ne baisse certainement pas les bras : je ne passe plus à l’attaque, je suis en défense, mais je me défends… J’ai encore quelques idées à concrétiser.

Gabriele Lavia avec ses filles Lucia et Maria.

Une histoire touchante

Et des rêves ?
En effet, j’ai toujours voulu parler d’un exemple de grande solidarité. Quand ils ont bombardé Milan, ma mère a décidé d’évacuer à Cassano Valcuvia (Varese) avec moi et mes frères : arrivée à Cittiglio, elle a pris la seule voiture en service à la gare. Le cocher nous conduisit à destination et retourna en chercher d’autres. Des allers-retours, des allers-retours. Le lendemain, maman est allée le chercher pour le remercier et lui apporter quelque chose, comme c’était alors la coutume. Ils lui ont dit qu’il était mort, épuisé. Et son cheval aussi. Une histoire touchante. Malheureusement, je ne suis pas écrivain.

Ce serait parfait sous la forme d’un monologue.
Oh non, je laisse le théâtre du conte à d’autres ! Avec ce micro qui vole la voix de l’acteur et la transmet à une machine appelée haut-parleur… Non !

Gabriele Lavia et Federica Di Martino (photo Tommaso Le Pera).

Lavia déteste jouer

Comment êtes-vous passé de la Sicile à Milan ?
Mon père, alors qu’il combattait en Albanie, avait contracté un virus et avait été envoyé à l’hôpital militaire lombard : en convalescence, il fut affecté aux bureaux, et ma mère le rejoignit. Je suis né ici. Après la guerre, nous sommes retournés à Catane. Pendant un moment : Papa a travaillé à la Banco di Sicilia et on lui a proposé le choix : Turin ou New York ?

Turin ou New York ?
Turin. Nous, les enfants, pensions déjà à l’Amérique, nous imaginions des chevaux et des cow-boys, le Far West…

Était-ce une attirance fatale pour le métier d’acteur ? Était-ce l’enfant classique qui grimpait sur des chaises pour déclamer et tout se taire ?
Non non non, au contraire : l’acteur déteste jouer ! Quand nous vivions encore en Sicile, des amis à moi avaient une entreprise semi-professionnelle qui venait essayer chez nous : dans le salon bleu les meubles ont été déplacés, de l’espace s’est créé… Je m’asseyais dans un coin, m’asseyais sur le sol et observez-les. Attitude que j’ai gardée. A Turin, vers 15-16 ans, j’allais tous les soirs à Carignano avec des amis : le propriétaire de l’époque a cessé de nous faire payer, il nous a mis dans la loge royale.

Un groupe de jeunes intellectuels. Au lieu d’aller danser ou boire une bière…
N’aimez jamais ces choses-là. Mais ce n’est pas que j’embrassais, j’étais aussi occupé, hein !

Et de spectateur à acteur ?
Petit à petit, j’ai réalisé que je voulais monter sur scène, mais je ne savais pas comment. Une nuit – j’étais sans sommeil – j’ai allumé la radio et il y avait une émission dans laquelle ils parlaient de l’Académie nationale d’art dramatique de Rome, interviewant des étudiants et des enseignants. Quelques jours plus tard, mon père a acheté une gravure en noir et blanc – Époqueje pense – avec un reportage sur l’Académie… je pourrais lier des visages à des voix !

Gabriele Lavia avec Monica Guerritore (photo LaPresse).

Lavia scandaleuse

Deux indices font signe.
En fait, je suis allé à la gare (les guides téléphoniques d’Italie ont été collectés, d’autres fois), j’ai appelé, j’ai demandé des instructions. J’avais terminé le lycée et donc je me suis préparé pour l’examen, je suis allé à Rome en cachette. Ils m’ont pris et, à ce moment-là, j’ai dû le communiquer à la maison : l’enfer. Mon père ne s’est calmé que lorsque j’ai allumé la télé et quelqu’un qui m’a vu a dû me complimenter… Quand Teletutto Boléro il m’a dédié un rapport, alors, il a dû croire que j’étais arrivé ! (sourit) J’ai eu de la chance : après les cours, j’ai été immédiatement embauché par le Théâtre de Gênes, où j’ai rencontré Luigi Squarzina, Eros Pagni, Omero Antonutti. Je dois aussi la rencontre avec Strehler à la télévision.

À la télé?
Giorgio l’a beaucoup regardée, bien qu’il l’ait nié … Il doit m’a remarqué dans un drame et m’a appelé à Milan pour auditionner pour Le Roi Lear. J’avais préparé un morceau, mais je n’arrivais pas à ouvrir la bouche : lui seul parlait. Je suis retourné à Rome convaincu qu’il ne m’avait pas attrapé. Mais oui : il m’offrait le rôle d’Edmund. « J’aimerais le rôle d’Edgar », ai-je répondu à l’assistant. « Tu es fou, Edgar, c’est un emmerdeur. » Finalement, il a cédé : « D’accord, le Maître dit que vous ferez Edgar, tant que vous ne vous embêtez pas ! ». Ainsi commença la plus belle expérience théâtrale de la vie. Il ne fait aucun doute que Strehler était le plus grand réalisateur que l’Italie ait eu depuis la guerre, il n’y a pas d’histoire, bien que certains ne soient pas d’accord.

Comment le cinéma est-il arrivé ?
J’ai accepté certains films parce que je voulais maîtriser la technique. Dans d’autres, je croyais plus: La louve c’était vraiment complexe, tourné en quelques semaines. Ennio Morricone, un vieil ami, a composé la musique en lui donnant quelque chose de spécial. Ça s’est bien passé.

Aussi Gilda la scandaleuse avec le Guerritore ça s’est bien passé en 1985… E Sens. Pourquoi deux films érotiques ?
Ce n’était pas mon truc, il se passe des choses étranges… J’aurais préféré des romans importants. Franco Cristaldi était un de mes admirateurs et il m’avait appelé, je lui avais proposé l’adaptation d’une histoire d’Heinrich von Kleist. Il est mort peu de temps après.

Gabriele Lavia dirige les répétitions de « Otello » au Teatro Comunale de Bologne (Roberto Serra / Iguana).

Lavia la Terrible

Comment est-ce de partager la scène avec des partenaires de vie ?
Rien ne change. Ce n’est pas moi qui prononce les lignes, c’est le personnage à qui je prête mon corps.

Mais les légendes sur l’Ego des acteurs…
Ce ne sont pas des légendes, ce sont de vraies conneries ! L’acteur – s’il est un vrai acteur – n’a pas d’ego, il cultive le doute. Tino Carraro, que j’ai dirigé, ou Albertazzi manquaient d’assurance (« Comment c’était, comment ça s’est passé ? » Giorgio s’inquiétait), tout comme Anna Proclemer, Rossella Falck. Les grands (les authentiques !) sont fragiles, humbles : c’est trop difficile d’agir ! Les arrogants sont des chiens, j’en suis sûr, j’en connais… (des rires)

L’amour ou le théâtre ont-ils plus compté dans l’existence de Gabriele Lavia ?
Si je devais choisir avec un revolver dans la tête – et force est de constater que sans ma femme je ne pourrais absolument pas m’en sortir – je choisirais le théâtre : c’est mon sang, mes ongles, mes cheveux… Quelque chose de trop gros, trop mystérieux, trop magique. J’y suis depuis 60 ans. De temps en temps, je rencontre des collègues plus âgés que moi : ils ne jouent plus, pourtant ils ne parlent que de scène.

Ils lui ont dédié un livre intitulé Lavia la terrible. A-t-il cette notoriété ?
La? Non, je suis si bon (clins d’œil). Je suis très strict, oui.

(On frappe à la porte pour l’appeler sur scène.)

Merci. À quelle heure avons-nous le spectacle ? Ah, le tour des spectateurs à 20h30, ceux qui s’endorment parce qu’ils ont déjà dîné (hausse les épaules en souriant). Excusez-moi, je dois vous quitter. Mais tu inventes, tu inventes s’il manque quelque chose. Je ne suis pas si intéressant…

iO Donna © REPRODUCTION RÉSERVÉE



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