Notre pays renvoie la ‘dent de Lumumba’ : ‘Cela semble fou de loin, mais c’est d’une grande importance pour la Belgique et le Congo’


Lors d’une cérémonie spéciale au Palais d’Egmont, notre pays remettra une dent aux proches du Premier ministre congolais Patrice Lumumba, assassiné en 1961. De hautes autorités congolaises présentes et le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) ouvre les cérémonies après la passation de pouvoir. La dent voyage ensuite à travers le Congo pour les cérémonies de deuil et est enterrée au Mémorial Patrice Lumumba à Kinshasa.

Qu’est-ce que tout cela signifie?

(des rires) « Pour ceux qui connaissent peu l’histoire coloniale, cela semble bizarre, un pays cédant une dent à un autre pays. Mais il s’agit de la dent de Patrice Lumumba, qui est une icône absolue au Congo, mais en fait dans toute l’Afrique et qui représente l’indépendance et la liberté des pays africains.

Kris Berwouts : « Si nous voulons vraiment une société inclusive ici, nous n’aurons pas d’autre choix que d’explorer, de nommer et de reconnaître notre passé colonial.image rv

« Il a été assassiné alors qu’il arrivait au pouvoir en tant que premier Premier ministre du Congo, peu après la fin de l’occupation coloniale belge du Congo. Et ce meurtre a eu lieu parce que la Belgique l’a voulu. Les seniors belges étaient aux commandes dans ces jours mouvementés qui ont précédé le meurtre, comme l’ont montré les recherches du sociologue et écrivain Ludo De Witte.

« Mais personne n’a encore été reconnu coupable du meurtre. Le comité Lumumba qui a enquêté sur l’histoire a seulement conclu que « la Belgique porte une responsabilité morale ». Et le corps du jeune premier ministre et de deux de ses associés n’a jamais été retrouvé car la police coloniale l’aurait dissous dans de l’acide sulfurique. Mais un policier décédé depuis, Gerard Soete, a sauvé la dent. Il a finalement été confisqué par le procureur après une perquisition de la fille de Soete en 2016.

« Ainsi, sur cette dent est accrochée l’histoire d’un ex-colonisateur qui prêche la démocratie mais continue de traîner un meurtre médiéval et est toujours incapable de se regarder dans le miroir et d’admettre : ‘Oui, nous avons fait cela.' »

Il n’a pas été prouvé qu’il s’agit de la dent de Lumumba car les tests ADN détruiraient partiellement ou complètement la dent, ce que les proches ne veulent pas. Mais que signifie néanmoins la restitution pour les Congolais ?

« Il n’y a en effet aucune preuve qu’il s’agisse de sa dent, mais pour la famille et par extension les Congolais, ce sont les seuls restes qui restent. Le récupérer est crucial pour les rituels associés à un décès. Ils peuvent enfin dire au revoir, l’enterrer et donner le repos à son âme.

Mais apparemment même parmi ses proches il y a des gens qui résistent ?

« C’est vrai et cela a à voir avec la peur d’une reprise politique. L’actuel président, Félix Tshisekedi, est faible et peut grandement renforcer son statut. La première visite du roi Philippe et de la reine Mathilde au Congo lui a récemment offert cette opportunité. Le retour de la dépouille d’un si grand héros africain pourrait apporter beaucoup plus de prestige à Tshisekedi, et c’est trop dur pour certains. Outre la difficile confrontation avec la part de notre pays dans sa mort, cette sensibilité politique est l’une des raisons pour lesquelles la Belgique a attendu cela si longtemps. »

Alors pourquoi est-ce que ça se passe maintenant ?

« Nous aurions dû le faire plus tôt. Depuis que la dent a été confisquée par le parquet en 2016, les proches ont demandé sa restitution. Mais ce n’est que maintenant qu’il y a la volonté de prendre certaines mesures. Je pense que le mouvement #BlackLivesMatter et la mort de George Floyd y ont contribué. La récente visite du couple royal au Congo en fait également partie. Mais malheureusement, le roi Philippe reste toujours à la surface. Il exprime de profonds regrets, mais pas d’excuses, à propos du régime colonial au Congo et n’a fait que brièvement référence à Patrice Lumumba dans son discours.

«Mais des excuses sincères et un hommage sont de rigueur. Car l’assassinat de l’inspiré Lumumba a empêché l’Etat congolais de se développer en un Etat fort. Le Premier ministre a été assassiné et le pouvoir judiciaire, l’armée et la police n’ont pas été en mesure de faire respecter l’État de droit. Le Congo vit toujours sous cette ombre, avec un gouvernement très fragile. Ce meurtre a contribué à déterminer l’avenir du pays, dans un sens négatif.

Qu’en est-il du procès des membres de la famille contre les anciens diplomates ?

« C’est actuellement coincé dans une affaire technique et ce que nous pouvons en attendre n’est pas clair. Ce qui me semble clair, c’est que la Belgique devrait également travailler sur un processus social entre-temps. Nous sommes déjà une société hyper-diversifiée, et nous ne le deviendrons que davantage. Dans son discours, le roi Philippe a surtout évoqué l’avenir, les jeunes générations.

« Mais si nous voulons vraiment une société inclusive et tolérante ici, nous n’aurons pas d’autre choix que de vraiment creuser, nommer et reconnaître notre passé colonial. Le Congo, mais certainement aussi la Belgique, en ont besoin. Et le transfert de cette dent ne suffit pas. Avec cela, notre pays espère tirer un trait sur son implication dans le meurtre de Lumumba, mais ce n’est pas parce que cette dent revient que la Belgique en a fini avec cette sombre histoire politique.



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