C’est arrivé à Rome dans les premières heures du 5 mars 2016. Deux chics vingtenaires – Manuel Foffo, un étudiant en droit fils d’un homme d’affaires bien connu, et Marco Prato, un fils de relations publiques d’un professeur d’université respecté – ont invité Luca Varani, un gars d’origine modeste qui se prostituait parfois, à se joindre à la soirée alcool et cocaïne qui se déroulait dans la maison de l’un d’eux. La soirée s’est terminée avec Varani poignardé et martelé à mort. Le motif? Aucun. Peut-être expérimentez-vous ce que vous ressentiez. Ils n’étaient pas sûrs.
Le crime a choqué l’Italie et obsédé l’écrivain Nicola Lagioia. Comme Truman Capote dans ‘In Cold Blood’, Lagioia a passé plusieurs années à suivre l’affaire, à documenter ses protagonistes, à interroger leurs amis et leur famille… Essayer de trouver des réponses : pourquoi tuer un garçon qu’ils connaissaient à peine ? Pourquoi cette façon sauvage de le tuer ? Pourquoi cette cruauté ? Était-ce à cause de la drogue, de l’ennui des gens aisés, de l’inconscience, du mal pur ?
Le résultat de cette enquête est ‘La Cité des Vivants’ (Random House Literature), une chronique littéraire exceptionnelle, passionnée, prenante (cela faisait longtemps que je n’avais pas dévoré un livre de près de 500 pages avec ces envies) et pleine de réflexions lucides sur le crime de Varani et tout le bruit médiatique qu’il a généré autour de lui. Le portrait d’une amitié toxique entre deux jeunes profondément narcissiques, aux problèmes d’identité sexuelle et pleins de frustrations existentielles, habitants d’une ville aussi belle et irrésistible (Rome tient une grande place dans le livre) que chaotique et décadente.
“La ville des vivants” a aussi beaucoup d’autofiction. Suivant la voie ouverte par Capote et magistralement dégagée par d’autres tels qu’Emmanuel Carrere ou Javier Cercas, Lagioia rejoint la polyphonie des voix dans l’histoire, décrivant comment s’est déroulé le processus de réalisation du livre et quelles ont été ses impressions après avoir scruté l’abîme de la nature humaine. L’écrivain, comme nous tous, se reconnaît dans la victime. Il est facile de craindre qu’ils nous tuent, qu’ils nous volent, qu’ils nous trompent… « S’il vous plaît, que cela ne m’arrive pas ». Mais aussi chez les bourreaux. Peur qu’un mauvais jour, dû à une inconscience, à un accès de rage, pour quelque raison que ce soit, tu sois l’agresseur, le meurtrier. “S’il te plait, ne me laisse pas faire ça.”
“La cité des vivants” est sans aucun doute l’une des chroniques criminelles les plus impressionnantes de ces dernières années. Un extraordinaire roman de non-fiction à la hauteur des classiques du genre comme celui évoqué par Capote ou ‘El adversario’ de Carrere.