Mon amour pour les restaurants frôle l’obsession, mais les deux dernières années ont été un peu difficiles. Lors des différents confinements qui ont durement touché le secteur de la restauration, nous avons fait preuve de solidarité. Nous avons sorti, commandé des menus maison et dès que nous avons pu, nous nous sommes assis à nouveau. Mais en guise de remerciement, de nombreux restaurants ont augmenté leurs prix. Apparemment, la solidarité devait venir d’un côté. Certes, les matières premières sont plus chères, des pertes ont été subies, mais trop de restaurants sont devenus outrageusement chers.
Autrefois on pouvait aller dans un restaurant étoilé en mettant de côté un peu d’argent, aujourd’hui on peut facilement payer 125 euros ou plus pour un menu. Et puis tu manges seul, hein, alors tu n’as pas un verre d’eau avec. C’est trop d’argent.
J’ai une autre objection. Si les grands restaurants ne deviennent accessibles qu’aux plus riches, on obtient une forme de ségrégation culinaire, alors que la gastronomie est justement propice au rapprochement. C’est une évolution que je regrette, surtout quand je vois les prix pratiqués dans mes restaurants préférés, où un dîner pour deux coûte désormais facilement 500 euros. Les restaurateurs devraient y réfléchir davantage.
Certains le font et, aiguillonnés par la crise des deux dernières années, ils ont changé de cap. D’autres étaient là bien avant. Par exemple, le chef Ysbrandt Wermenbol a rendu l’étoile pour son restaurant Le Maron à Malden en 2014. Il trouvait que la star était une barrière pour les invités et lui-même en avait assez de la pression que cela apportait. Obtenir une étoile est une chose, la conserver en est une autre.
Le Maron n’existe plus. Aujourd’hui, Wermenbol dirige le restaurant Lime dans le même Gelderse Malden, près de Nimègue. Le premier vrai dimanche d’été de l’année, nous entrons dans le restaurant, qui a un intérieur sombre et une cuisine ouverte. On prend place en terrasse, où le chef s’affaire à dresser toutes les tables. Il y avait un grand groupe sur la terrasse cet après-midi-là, entend-on.
Lime a un menu de huit plats; vous pouvez le choisir dans son intégralité ou composer un menu plus petit à partir de celui-ci. De plus, il y a trois plats signature du chef. Si vous le souhaitez, vous pouvez combiner ces plats avec le menu moyennant un petit supplément. Bref, ce n’est pas difficile au Lime et le service, la chef elle-même et une demoiselle, est cordial. Et c’est à un prix raisonnable : à partir de 41 euros les trois plats. C’est un excellent rapport qualité/prix.
Glace Jalapeno
En entrée, on prend du pain au levain, des chips aux algues avec du riz soufflé et un apéritif de riz avec des œufs brouillés aériens, du furikake (un assaisonnement japonais à base d’algues et de poisson séché) et de la glace au piment jalapeño. Cet amuse-bouche a l’air discret, mais il est très savoureux et je pourrais facilement remplir un bol avec cette glace au piment jalapeño.
Mon premier plat est ma propre interprétation du gadogado. C’est un nid de lamelles de pommes de terre croustillantes garnies de légumes croquants comme du chou pointu, des fèves germées et du concombre, de l’œuf de caille, de la glace à la cacahuète (miam) et de la vinaigrette au gingembre. Il avait l’air un peu pâle, mais c’est un nouveau départ croustillant plein de saveur et avec un bon zing qui aiguise mon appétit.
Mon compagnon de table se régale d’une soupe – ‘thai-esque’, selon le chef – de langoustine et coco avec bok choy croustillant et ciboule, accompagnée d’un ceviche de crevettes sauvages. La soupe a plus le goût d’une bisque française que thaïlandaise, mais c’est sémantiquement harcelant, car le goût est parfait.
Pour fêter la saison des asperges, mon compagnon de table a choisi un beau cannelloni aux asperges garni d’une salade d’asperges et de crevettes, une sauce au homard et à l’ail des ours et une crème de cerfeuil, estragon et persil. Un plat délicieux et léger qui rend justice aux asperges et s’adapte parfaitement à la météo estivale. Il nous donne vraiment une sensation de vacances, qui est encore renforcée par le poulpe croustillant avec une crème de romesco douce et veloutée (de paprika à l’ail), l’artichaut du barbecue et la vinaigrette d’aïoli. Saveurs méditerranéennes sur une terrasse de Gelderse.
J’ai aussi choisi le risotto de betteraves rôties avec sauce au safran, croquant à l’orange sanguine et aux olives vertes. Là, les tons aigres l’emportent sur les autres. Je m’attendais à plus de contraste avec cette combinaison. Il y a ce contraste avec le cou d’agneau laqué au yaourt crémeux et riche d’aubergine, la crème de datte pour une douceur douce, les courgettes et la sauce d’agneau épicée.
Mon compagnon de dîner s’extasie sur le flétan sauvage frit avec de la gelée de nduja (saucisse de porc italienne), des tortellinis de crevettes sauvages (« C’est parfait ! »), des épinards avec de la hollandaise et une sauce aux crabes de plage. Il est également ravi de l’accord mets-vins.
La crêpe croustillante au mascarpone, glace à l’orange sanguine et à la stracciatella et sauce à la feuille de citron, à l’orange et à l’anis est une finale rafraîchissante. Mais le vrai gagnant est le dessert avec une crème d’asperges, une glace à la vanille (mais vraie, faite maison avec ce merveilleux parfum de vanille), une meringue aux asperges, du chocolat blanc et de la mousse de lavande. Quelle gourmandise originale et savoureuse, qui trahit le talent du chef.
Vous remarquez par son hospitalité décontractée et les plats que le chef Wermenbol fait ce qu’il veut; on goûte au plaisir, mais aussi à une certaine quiétude. Wermenbol a peut-être refusé cette étoile, mais ce n’est pas dans la plaque sur la porte, mais dans ses mains et sa créativité.