Pourquoi l’Europe ne rattrapera pas les États-Unis


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Les États-Unis, au tournant du millénaire, n’avaient pas « prévu » de dépasser l’Europe. Ils n’avaient pas de version du nouveau rapport sur la compétitivité de Mario Draghi. Ils n’ont pas produit un équivalent du Agenda de Lisbonnequi en 2000 a engagé l’UE à construire « l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde ». Les États-Unis ont fait preuve d’une négligence déplorable sur le plan du rapport. Et pourtant, nous en sommes là. La divergence transatlantique en matière de résultats matériels dure depuis deux décennies. Et l’Europe était déjà plus pauvre au départ.

La vision économique la plus schématique que Washington ait jamais eue au cours de cette période est le récent protectionnisme de Joe Biden. Draghi est vivement critiqué pour vouloir l’adopter. Mais même s’il proposait d’imiter le libéralisme américain, comment pourrait-il le faire ? Quelle que soit la position que l’on puisse adopter pour entraver la lutte de l’Europe contre les États-Unis, il existe des raisons culturelles de douter que cela puisse être résolu. Le continent est, en fin de compte, un endroit différent.

Si le problème de l’Europe est qu’elle ne sait pas faire de Bidenomics, ce problème est là pour durer. Quelque 67 ans après le traité de Rome, l’UE dispose d’un budget qui s’élève à 1 pour cent La production de l’Union européenne est en effet en baisse. Même si elle augmente quelque peu, ce qui est loin d’être certain, car les partis anti-Bruxelles fleurissent sur tout le continent, qui s’attend à ce qu’elle se rapproche un jour de la bourse fédérale américaine ? Qui s’attend à ce que, même si les vetos nationaux sont réduits ici et là, comme le souhaite Draghi, le processus de décision européen ressemble à celui de Washington ? Et encore moins à celui de Pékin ? Ce n’est pas un échec de leadership. L’Europe n’est tout simplement pas un État-nation.

Si le problème de l’Europe est la lourdeur de son gouvernement, il n’y a pas non plus de réponse technocratique à cela. Les Européens ont des attentes plus élevées que les Américains à l’égard de l’État-providence. Quelle que soit la cause de ce phénomène – l’enseignement social catholique, le résidu des obligations interclasses de l’époque féodale, la « décadence » – il s’agit d’une caractéristique culturelle. Les dirigeants qui s’y opposent risquent des troubles civils (Margaret Thatcher, Emmanuel Macron) ou une défaite électorale (Gerhard Schröder). Les partisans du Brexit qui pensent que la Grande-Bretagne est « anglo-saxonne » sur ces questions devraient proposer le niveau américain de congés payés légaux – c’est-à-dire zéro – et attendre la réaction.

La troisième raison de la torpeur relative de l’Europe est son marché unique, loin d’être achevé. Dans ce domaine, il est possible de faire davantage. Draghi est à son meilleur en matière d’intégration des marchés de capitaux. Mais en fin de compte, il est impossible de contourner le fait que l’Amérique a une langue unique ou du moins une langue dominante. Ce n’est pas le cas de toutes les nations (voir l’Inde). Une entité multinationale de 27 membres n’en a certainement pas. Les barrières culturelles à l’expansion d’une entreprise en Europe ne peuvent pas être aussi faibles qu’aux États-Unis, qui sont un pays unifié depuis plus longtemps que l’Allemagne ou l’Italie, sans parler de l’UE.

Ces différences sont intemporelles entre les deux côtés de l’Atlantique Nord. Mais il y en a aussi de plus récentes. Dans les années 1990, l’âge médian aux États-Unis n’était pas beaucoup plus bas qu’en Europe. L’écart s’est creusé depuis. (Ce qui reflète en partie la longévité des Européens.) Si toutes les autres choses sont égales par ailleurs, on pourrait s’attendre à ce que cela se traduise par une Europe de moins en moins dynamique. Mais d’autres choses ne sont pas égales. Les États-Unis sont devenus le plus grand producteur de huile et gaz naturel Sur Terre, l’Europe n’a pas eu la même chance géologique, même avant l’exploitation du schiste américain.

En fait, si l’on prend en compte tous les atouts de l’Amérique – minéraux, démographiques, linguistiques –, il est étonnant que son avance économique sur l’Europe ne soit pas encore plus grande. Et cela sans parler de la ressource intangible qu’est l’enthousiasme entrepreneurial. Un investisseur américain basé au Royaume-Uni m’a confié ce qui l’avait frappé dans son pays d’adoption : il n’y a pas grand intérêt à annoncer à ses étudiants qu’ils vont créer une entreprise. Dans quelle mesure ce problème culturel peut-il être résolu par une solution technique ?

L’aberration ne réside peut-être pas dans les performances de l’Europe depuis le début du millénaire, mais dans les décennies qui l’ont précédée. Ce que Draghi appelle son « modèle social » a été mis à l’abri d’une concurrence intense. La Chine tâtonnait pour se faire une place dans le monde. L’Inde n’a libéralisé son économie qu’en 1991. Le modèle américain, plus difficile à concurrencer, pourrait être encore mieux adapté à ce siècle qu’au précédent.

Ne confondez pas ce fatalisme avec de la détresse. Je préfère vivre en Europe, et je le fais. Il est révélateur que les élites américaines fréquentent le continent à un degré que leurs homologues européens ne leur rendent pas. En fait, la réticence de l’Europe à réformer est indissociable de la douceur de vivre ici pour un nombre suffisant de personnes. Le rapport de Draghi ne sera simplement pas le dernier. Chaque fois qu’un rapport est publié, la coutume est de louer son contenu mais de s’interroger sur ses chances d’être adopté. C’est une politesse étourdie. Dans la mesure où un plan est politiquement et culturellement improbable, ce n’est pas un bon plan.

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