La doctrine des parties prenantes prospère malgré les attaques contre les critères ESG


Ce mois-ci, une bataille pour la liberté d’expression a éclaté au Texas. Non, il ne s’agit pas d’une nouvelle salve d’Elon Musk sur les réseaux sociaux, ni d’une bataille pour l’interdiction de livres.

Au lieu de cela, l’American Sustainable Business Council poursuit le gouvernement du Texas pour ses décisions de 2021 et 2022 de mettre sur liste noire les entreprises qui respectent des stratégies environnementales, sociales et de gouvernance.

Les politiciens de droite du Texas ont d’abord justifié ces mesures comme une tentative d’empêcher les militants ESG d’imposer leurs points de vue sur le changement climatique, par exemple, à tout le monde. Cependant, les plaignants affirment que c’est en fait le mouvement anti-ESG qui enfreint les règles de la liberté d’expression, en forçant implicitement la finance à soutenir les énergies fossiles. Le procès est donc une forme de ju-jitsu juridique – ou une tentative de redéfinir l’idée de « liberté ».

On ne sait pas encore si cette mesure fonctionnera. Mais les investisseurs devraient en tenir compte pour au moins deux raisons. La première, évidente, est que cette mesure symbolise l’évolution de l’esprit du temps autour des questions ESG.

Il y a cinq ans, le terme est devenu très à la mode dans un contexte de remise en question plus large du rôle des entreprises dans la société. En août 2019, l’America’s Business Roundtable appelé explicitement pour s’éloigner du mantra de l’actionnaire d’abord défendu par l’économiste Milton Friedman et adopter à la place un cadre « parties prenantes » qui englobe les intérêts et les valeurs de la société.

Depuis, des termes comme ESG ou DEI (diversité, équité et inclusion) sont devenus les boucs émissaires de la droite politique, qui les assimile au « capitalisme éveillé » de gauche. Et, sans surprise, de nombreux chefs d’entreprise et de la finance américains évitent ces mots, de peur de devenir des cibles politiques. D’où ce procès au Texas.

Mais la deuxième raison pour laquelle cette affaire est si symbolique est qu’elle montre également que la croisade contre les critères ESG n’est pas aussi simple qu’elle pourrait le paraître. À première vue, on pourrait y voir une tentative de revenir à cette époque de la fin du XXe siècle où la vision de Friedman régnait en maître.

Et certains personnages le souhaitent explicitement : le mois dernier, 14 trésoriers d’État républicains a demandé le BRT « abandonner le mantra fatalement erroné du « partenariat » et « revenir à l’objectif de maximisation de la valeur » [for] actionnaires”.

Mais ce qui est le plus remarquable dans cette lettre, c’est la rareté des appels aussi explicites à un retour au cadre friedmanien. Et le BRT ne montre actuellement aucun signe de s’incliner devant ces demandes. Au lieu de cela, il a émis une nouvelle déclaration qui a souligné que les entreprises « peuvent et doivent » rechercher à la fois des profits et un objectif et « investir dans leurs travailleurs, leurs fournisseurs et leurs communautés » — leurs parties prenantes, en d’autres termes.

Pourquoi ? D’une part, parce que le BRT reconnaît largement qu’une transition énergétique est inévitable, sans parler des partis pris politiques. D’autre part, ce ne sont pas seulement les voix de gauche qui souhaitent aujourd’hui mettre davantage l’accent sur les parties prenantes et les intérêts de la société. Loin de là.

Si l’on analyse les attaques de la droite contre le « capitalisme éveillé », il apparaît clairement qu’elles se concentrent moins sur les demandes des entreprises d’ignorer toutes les valeurs sociales que sur une demande de retour à des idées traditionnelles et non progressistes. Au lieu de la diversité raciale, des droits LGTBQ et de l’énergie propre, les croisés anti-ESG veulent mettre davantage l’accent sur les valeurs familiales et les combustibles fossiles.

Malgré ces attaques contre les critères ESG, on observe une nouvelle tendance à la politique industrielle, au protectionnisme et à l’économie populiste, tant de gauche que de droite. Il suffit de regarder la décision de la Maison Blanche de bloquer la tentative de rachat d’US Steel par Nippon Steel. Ou d’écouter la récente rhétorique de JD Vance, le candidat républicain à la vice-présidence, qui appelle les entreprises à soutenir les communautés locales, les travailleurs et les intérêts de sécurité nationale. Ce que Vance prône est une autre variante du «stakeholderism», mais pas telle que les militants ESG la connaissent.

Cette évolution s’explique par deux autres facteurs. Tout d’abord, les attitudes de la société à l’égard des entreprises évoluent. Lorsque Friedman a élaboré ses théories de l’actionnariat d’abord, le public pensait généralement que c’était le rôle du gouvernement – ​​et non des entreprises – de résoudre les problèmes de société, et ne s’attendait pas à ce que les entreprises soient très transparentes.

Aujourd’hui, selon les sondages Edelman, seuls 40 % des Américains font confiance au gouvernement, contre 53 % aux entreprises. De plus, les technologies numériques permettent un contrôle autrefois inimaginable des entreprises. Résultat : plus des deux tiers des consommateurs pensent que les marques doivent prendre position sur les questions sociales, et 75 % d’entre eux quitteraient une entreprise s’ils n’étaient pas d’accord avec son orientation politique. Le « stakeholderisme » est en train de devenir une norme culturelle.

Deuxièmement, les dirigeants d’entreprise, de leur côté, se rendent de plus en plus compte qu’ils ne peuvent ignorer le contexte social et politique dans lequel ils évoluent. Le mantra de Friedman qui place les actionnaires au premier plan allait de pair avec l’idée que les questions qui comptaient réellement pour les entreprises étaient celles inscrites dans leurs bilans.

Cependant, au cours de la dernière décennie, les plus grands chocs économiques sont venus d’ailleurs : le changement climatique, les pandémies, les droits des femmes, les conflits politiques et la guerre. une enquête L’étude réalisée cette semaine par EY révèle que la plupart des chefs d’entreprise s’attendent à une augmentation – et non à une diminution – des risques politiques à l’avenir, et seuls 30 % d’entre eux pensent en être conscients. Dans ce contexte, ignorer les parties prenantes semble dangereusement risqué.

Le point essentiel est donc que, que l’étiquette ESG soit ou non attaquée, le « partenariat » est en plein essor – bien que sous de nouvelles formes et dans un contexte de bataille pour les valeurs et les priorités sociales. Oui, cela pourrait faire tourner le fantôme de Friedman dans sa tombe. Mais tout le monde devrait surveiller ce procès au Texas – sans parler des prochaines élections américaines

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