Se présentant avec un nom de scène pratiquement imprononçable, un virelangue et une voix aussi délicate qu’une fleur mais terriblement expressive et émotionnelle, beabadoobee est devenu l’une des stars les plus improbables de ces dernières années. Son style musical est un pastiche du rock alternatif des années 90, mais comme il ne cherche pas à le cacher, il se fait un devoir d’écrire des chansons qui sont vraiment bonnes. Et, entre ses deux premiers albums, il a composé quelques belles chansons. « Tired », l’un d’entre eux, a même été joué sur « Hearstopper ». Et bien, il va sans dire que beabadoobee a été l’un des premiers groupes de l’Eras Tour.
Dans ‘This is How Tomorrow Moves’, album numéro 1 au Royaume-Uni, les choses restent exactement les mêmes qu’avant : beabadoobee livre une poignée de chansons qui d’une part sonnent comme des choses entendues mille fois et, de l’autre, sont complètement captivant grâce à la voix de beabadoobee et à la vulnérabilité de ses paroles. A cette occasion, oui, la production gravit plusieurs marches avec l’aide du tout-puissant Rick Rubin, le Walt Whitman de la pop actuelle.
Ainsi, des chansons aussi guitares que « California », qui semble être un nouvel hommage à Pavement par l’auteur de « I Wish I Was Stephen Malkmus », ou « Beaches », même sans être le comble de l’originalité, sont de bonnes compositions et , de plus, , sont merveilleusement produits. Même si d’autres morceaux comme « Tie My Shoes » sont moins inspirés, la présence vocale de beabadoobee reste incontournable.
Il est surtout difficile de résister au charme de ‘Take a Bite’, premier single, qui ouvre l’album dans un registre de ballade emo très bien résolu ; comme si elle essayait d’être un mélange entre Alanis et Lene Marlin… et réussissait sa tentative. beabadoobee nous dit dans « Take a Bite » que sa vie est un chaos parce qu’il ne sait rien d’autre, et il propose une chanson qui fonctionne comme un baume contre cet inconfort. Le clip vidéo est un petit bijou.
Il va sans dire que les éclats de guitare se marient bien avec les chansons qui parlent de la volatilité des émotions que traverse une personne qui passe du statut de « jeune fille » à celui de « femme adulte ». Bea Kristi – qui a 24 ans – essaie de mûrir avec « grâce », mais ses paroles sont pleines de fatigue et d’agitation, notamment à cause des hommes émotionnellement incompétents qui traversent sa vie (« Real Man »), mais aussi à cause de le stress des tournées (« Californie ») ou l’influence des réseaux sociaux sur la santé mentale. Dans la bossa nova de « A Cruel Affair », oui, elle reconnaît que les réseaux la mettent en insécurité, mais elle affirme immédiatement qu’elle en vaut la peine aussi.
Parce que – comme sur ses autres albums – beabadoobee n’épouse pas non plus un seul style sur ‘This is How Tomorrow Moves’. Et pas seulement parce que sa façon d’écrire des chansons la fait ressembler à une Hilary Duff accro au grunge (c’est à cela qu’elle ressemble dans ‘Post’ ou ‘Beaches’). Dans sa troisième œuvre, Kristi passe de la ballade classique à la belle « Girl Song », dédiée à cette fille qui « réfléchit trop », c’est-à-dire elle-même ; au jazz-pop à la Fiona Apple dans le moins mémorable « Real Man ». Les arrangements de cuivres luxuriants de « Ever Seen » font référence au Sgt. Pepper… mais surtout à l’ère indépendante d’Arcade Fire et d’Architecture à Helsinki. Dans le catalogue beabadoobee, c’est totalement rafraîchissant.
Surtout, lorsque beabadoobee essaie d’expérimenter, il peut proposer des chansons aussi extrêmement mignonnes que «Everything I Want», dans une tonalité jazz-pop, ou cette merveilleuse chanson intitulée «Coming Home», une autre pièce qui traite de la fatigue de des tournées et cela va de la valse folklorique à la marche des trompettes de Beyrouth. beabadoobee ne sera jamais soupçonnée d’innover, mais quand elle se met à copier, elle le fait bien et, surtout, avec sa voix, elle serait capable de vous vendre ne serait-ce qu’un exemplaire des pages jaunes. Je l’aurais fait en 1998 et je pourrais le faire en 2024 si je le voulais.