Album de la semaine : Arcade Fire / WE


Nous sommes toujours au milieu d’un débat sur le caractère péjoratif ou approprié du terme « génération de cristaux ». L’écrivain qui l’a inventé, Montserrat Nebrera, a nuancé sa définitionparlant d' »hédonisme » et d' »indolence », mais aussi de « frustration », de « peur » et de « crise des modèles économiques ».

Arcade Fire lance son nouvel album « WE » à peu près de la même manière. Ils parlent de « l’âge du doute » où « personne ne dort » parce que « les pilules ne nous servent plus ». Ils intitulent la chanson « The Age of Anxiety ». Dans le texte avec lequel ils présentent l’album, ils parlent de Marley, Buddha, Abraham et Martin Luther King Jr. Ils concluent une note aussi illustrative comme suit : « Hipsters call it jazz, hippies call it love, we call it US ».

Ceci explique plus ou moins la volonté pacifique et communautaire de ‘NOUS’. Le nouvel album d’Arcade Fire est divisé en deux parties. Le premier s’appelle « je » et, plongé dans la dépression, il nous parle de ciels froids, de gens qui s’endorment devant la télévision, de parents absents, de la fin d’une époque. La deuxième partie, le bien nommé « WE » est sa proposition de reprise, représentée par les singles avec lesquels l’album a été présenté : « The Lightning » et la première partie de « Unconditional », « Lookout Kid ».

« The Lightning » nous parle de manière voilée des dernières élections aux États-Unis, de la peur que Trump gagne, notamment de la part des migrants d’Haïti, tandis que « Lookout Kid » est une chanson d’affection envers un fils . Win Butler et Régine Chassagne sont les parents d’un garçon de 9 ans et semblent plus que préoccupés par la dérive d’une génération qui vit avec moins de certitudes et de sécurité que la précédente. Ici, ils l’encouragent très clairement, lui et toute sa génération perdue : « Il y a des choses que tu pourrais faire que personne d’autre sur Terre ne pourrait / Mais je ne peux pas t’apprendre. »

Arcade Fire s’adresse à la génération préadolescente, adolescente et post-adolescente soucieuse de sa santé mentale, de Billie Eilish à Ariana Grande, tout en essayant musicalement de renouer avec leurs fans de longue date. Généralement, le courant d’opinion considérait son précédent opus « Everything Now » comme un trébuchement, bien qu’il contienne l’un des plus grands succès de sa carrière, la chanson-titre, et des compositions aussi belles que « We Don’t Deserve Love ». Un peu surestimé par mon partenaire Pablo Tocino, et beaucoup Dévalorisé par le public, l’album est en tout cas dépassé car ‘WE’ est beaucoup moins martien.

Avec toutes ses chansons à l’exception du « WE » final divisé en deux, trois et quatre parties, cet album d’Arcade Fire fonctionne comme une comédie musicale. Cela commence par le susmentionné ‘Age of Anxiety I’, dans lequel des passages acoustiques coexistent, au piano, avec des halètements. Les synthés prennent le relais sur le chemin de la deuxième partie de ce morceau, identifié comme « Rabbit Hole ». On retrouve ici l’Arcade Fire de sa réinvention la plus inattendue, ‘Reflektor’.

« End of Empire » est une odyssée de 9 minutes dont la dernière et la quatrième partie sont consacrées au personnage « Sagitarius A ». Là ça vaut le coup de s’arrêter dans la production de l’album. Il est dirigé par Nigel Godrich, connu dans le monde entier sous le nom de « The Sixth Radiohead ». C’est pourtant Dave Fridmann qui semble les avoir inspirés, à en juger par le traitement précieux des voix et des détails, d’une nature onirique, entre forest folk et dream pop.

Plus tard, après les singles, Régine retrouve sa verve eighties dans le deuxième volet de « Unconditionnel », « Race & Religion », pour parler de l’importance de l’unité. Au final, l’album choisit de se clôturer par un thème acoustique, celui qui donne son nom à tout. « Quand tout sera fini, pouvons-nous tout recommencer ? » se demande la chanson, laissant un goût aussi doux et beau que « Automatic for the People ».

Impossible de passer sous silence les innombrables clins d’œil que l’on retrouve au grand collaborateur de luxe d’Arcade Fire, David Bowie. La deuxième partie de ‘End of the Empire’, intitulée «Last Round», rappelle le début des années 70, l’époque de ‘All the Young Dudes’ et ‘The Man Sold the World’, et déjà évoquée, on retrouve des mentions de l’espace , aux labyrinthes, en clins d’œil glam et intentions conceptuelles. Il n’y a pas de réinvention de caméléon dans ‘WE’. Ce que nous avons trouvé est un excellent 6e album qui laisse derrière lui certains des moments les plus réconfortants et les plus excitants de la carrière d’Arcade Fire. Pas mal pour les auteurs de ‘The Suburbs’.



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