En 2019, deux ans après avoir sorti -et passé inaperçu- son premier album « Jouez jusqu’à ce que vous gagniez », Cassandra Jenkins était sur le point de partir en tournée avec le groupe Purple Mountains lorsqu’elle a reçu, quelques heures auparavant, la nouvelle du suicide de David Berman. En train de créer ‘An Overview On Phenomenal Nature’, son deuxième album, la perte de son amie planait inévitablement dans l’esprit de l’artiste new-yorkaise.

Les chansons ont un air résolument spirituel, un désir de trouver un sens à la vie et à soi-même, et en même temps, d’explorer la vie et les histoires des autres. Apprendre du monde et surtout des personnes qui y vivent. Côtoyant Josh Kaufman (qui a travaillé comme musicien sur les enregistrements de The War On Drugs et Taylor Swift) comme producteur principal, Jenkins impose un ton calme et magnétique tout au long des sept titres qui composent l’album, exerçant également, un prodigieux narratrice avec sa voix chuchotée, tantôt chantée, tantôt parlée.

La poésie de « An Overview… » bouleverse l’auditeur dès les premières secondes avec « Michelangelo », où Jenkins se compare à un chien à trois pattes, car une partie d’elle « sera toujours à la recherche de ce qu’elle a perdu ». Cette première phrase est un parfait exemple du type d’écriture proposé dans cet ouvrage : aussi ironique qu’existentiel, aussi désinvolte et léger qu’aiguisé. Dans cette chanson sans refrain et portée par la force de ses guitares électriques progressives, Jenkins nous ouvre une porte et nous invite à découvrir le monde avec ses yeux.

Dans le subtilement déchirant ‘New Bikini’, il intègre les instruments à vent qui nous accompagneront tout au long de l’album tout en nous faisant découvrir avec beaucoup de délicatesse différents personnages et scènes de sa vie : Warren, un pêcheur qu’il voit tous les week-ends ; le souvenir du moment où David (Berman, nous supposons) est mort et que ses amis lui ont offert un voyage en Norvège ; sa mère inquiète qui lui achète un nouveau bikini pour lui remonter le moral ; son ami Gray qui lutte contre une maladie. Le lien entre eux tous est qu’ils se conseillent de se baigner dans l’océan, de se purifier avec l’eau qui guérit tout.

‘Hard Drive’ parle aussi justement de guérison, une chanson surprenante et tout simplement parfaite. Dans ce document, Jenkins récite plusieurs vers sous forme orale sur différents étrangers qu’il rencontre dans différents endroits. Il y a un agent de sécurité (que l’on entend au début de la chanson sur un enregistrement) qui prétend qu’en perdant notre lien avec la nature, nous perdons notre humanité, notre esprit. Dans un autre couplet, Jenkins demande à la réceptionniste du glamour restaurant californien Inn of the 7th Ray de lui parler de Saint Germain, et il commence à lui raconter des histoires sur les chakras, le karma et la naissance du cosmos. Son ami Darryl, qui lui apprend à conduire à 35 ans, lui demande s’il va suivre une thérapie, tandis que Perry lui assure que même s’il sait qu’il a eu des mois difficiles, cette année sera bonne. Il lui tape sur l’épaule et l’invite à fermer les yeux, à respirer et à compter jusqu’à trois. A ce stade, on est déjà totalement immergé dans le récit inédit et brillant que propose Jenkins dans cette chanson-thérapie, dans laquelle on se recompose à travers ses magnifiques passages de saxophone, la mélodie nostalgique et cinématographique ou la relaxante et douce du chanteur.

L’un des thèmes clés de l’album est sans aucun doute le désir d’une connexion humaine forte. Quelque chose qui est rendu encore plus explicite si possible dans la belle ballade folk qu’est « Crosshairs », où Cassandra Jenkins veut juste « s’effondrer dans les bras de quelqu’un de complètement inconnu ». La composition possède non seulement l’un des chœurs les plus immédiats du projet, mais est rehaussée par une belle instrumentation dans laquelle le piano se confond avec les guitares électriques et acoustiques.

Pour couronner ‘An Overview On Phenomenal Nature’, l’auteur-compositeur-interprète opte pour une pièce instrumentale de 7 minutes où l’on entend des voix lointaines inintelligibles ou le chant des oiseaux. Il s’agit d’une clôture émouvante et justifiée d’un projet humaniste et vital, qui traverse la douleur, la solitude et la déconnexion du monde moderne pour nous faire comprendre que même si parfois nous croyons que tout est perdu, il y a des raisons de croire en l’humanité et en gentillesse des étrangers; qu’il est commode de s’arrêter, de prendre une profonde inspiration et de compter jusqu’à trois pour réparer notre cœur brisé.



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