La Russie a placé ce Belge sur la liste d’Interpol : « Je vous en supplie : dénoncez-moi »


Depuis dix ans, la Russie cherche un Belge israélien qui vit simplement à Anvers. Erez Jacob Rivlin est l’un des dix Belges sur la liste d’Interpol et pour la première fois il raconte son histoire.

Bruno Struys29 avril 202203:00

Une photo tramée sur le site d’Interpol. « Notice rouge » : né en Israël, de nationalité belge et recherché par la Russie pour escroquerie. C’était en décembre 2009 quand Erez Jacob Rivlin l’a découvert accidentellement lui-même, après avoir tapé son nom dans Google.

« Ce logo d’Interpol, cette photo de moi ressemblant à un criminel… C’était ma bombe atomique personnelle. Après ça, tout était différent », raconte Rivlin, 58 ans, à Anvers.

« Que faites-vous une fois que vous découvrez quelque chose comme ça ? Le dites-vous à vos enfants ? Votre femme? Vos amis, votre banquier, votre gouvernement ?

Depuis lors, Rivlin ne peut plus voyager librement. Les employés de l’aéroport voient immédiatement la description sur leur écran. Il y a quelques années, toutes les sonnettes d’alarme se sont déclenchées lors de la visite du Diamond Circle. Avant qu’il ne s’en rende compte, des voitures de police sont arrivées, l’ont menotté et l’ont retenu pendant une heure et demie. « C’est comme ça que je vis depuis plus de dix ans maintenant. Vous êtes en fait obligé de me dénoncer. Il sourit vert. « Je t’en supplie, dénonce-moi. »

Il sort son portefeuille et déplie un A4. « Cette lettre est ma liberté. Elle est plus importante que ma carte d’identité. Un procureur écrit que la Belgique n’extrade pas les ressortissants soupçonnés de fraude.

Condamné par contumace

À un moment donné en 2009, peu de temps avant que son nom n’apparaisse à Interpol, Rivlin a dû être reconnu coupable de fraude en Russie. Lui-même n’en a jamais été informé, ni avant le procès, ni pendant, ni après. « Comment pouvez-vous appeler quelque chose comme ça justice ? Je suis le premier étranger à être condamné par contumace par un tribunal russe. Le second était Bill Browder, l’homme à l’origine de la loi américaine Magnitsky, qui autorise des sanctions contre les Russes.

Selon ses propres mots, Rivlin a perdu plus de 30 000 euros en frais d’avocat pour obtenir sa peine, mais en vain. « Mon procès serait secret, sous le plus haut niveau de sécurité du FSB (Service secret russe, BST)

Mais il sait ce qui est à l’origine : un différend avec une filiale d’Alrosa, le géant russe du diamant, qui fait affaire à Anvers. Rivlin est consultant dans l’industrie du diamant. Sa carrière débute dans les années 1980 en tant que consultant pour des entreprises belges sur le continent africain. À l’été 1992, il réussit à convaincre le négociant en diamants Georges Evens de se concentrer sur l’ouverture de la production russe de diamants.

Deux ans plus tard, Rivlin fut brièvement conseiller du gouvernement Eltsine. Il vint alors en Belgique, épousa une Flamande et obtint la nationalité belge. En 2003, il fonde une nouvelle société à Anvers, Yofi Diamonds. « Yofi est l’hébreu pour la beauté, mais ça s’est terminé très moche. »

Rivlin montre un contrat de joint-venture entre Yofi et Orel Almaz, filiale d’Alrosa. Peu de temps après, les choses ont mal tourné. Rivlin dit que les diamants qu’Orel Almaz lui a vendus n’avaient pas la valeur que les Russes lui avaient promise. Il affiche les certificats avec la mauvaise valeur. « Ils ont tous dû être repolis, sinon ils seraient invendables. J’ai demandé une indemnisation.

Dans le journal économique russe Kommersant ça sonnait différent alors. On y lit que le directeur général d’Orel Almaz a dû démissionner pour suspicion de fraude et que la société a fait faillite, car la société belge Yofi n’a jamais officiellement payé deux lots de diamants, d’une valeur de 2,5 millions de dollars. Le bureau du procureur russe a ouvert une enquête pénale.

Rivlin fait signe que loin. « Le patron d’Orel Almaz est venu lui-même à Anvers en 2005, avec des gens d’Alrosa. Dans le hall de l’hôtel Hyllit sur De Keyserlei, il a admis qu’il m’avait trompé.

Erez Jacob Rivlin : « Dans le gouvernement Poutine, les erreurs ne sont pas tolérées. S’ils admettaient que j’avais raison, non seulement ces gros bonnets devaient payer, mais aussi tout le système de contrôle sur les diamants.Image © Eric de Mildt

L’échec n’existe pas

Rivlin pensait qu’ils avaient voyagé pour accepter son offre d’indemnisation, mais soudain, l’un des présents a nommé Rivlin un criminel qu’ils suivraient dans le monde entier via Interpol. « Plus tard, un PDG d’Alrosa m’a dit que c’était un agent du FSB qui avait parlé à Poutine juste avant son voyage à Anvers. »

Ces dernières années, le Parlement européen et l’ONG britannique Fair Trials ont décrit comment des pays comme la Chine, l’Iran, la Turquie et la Russie abusent d’Interpol à des fins politiques. Les Russes ont également utilisé Interpol dans le cas de Bill Browder. Mais pourquoi Rivlin ?

« Parce que haut dans le gouvernement Poutine, les erreurs ne sont pas tolérées. Comme sous Staline, l’échec n’existe pas. Et le diamant est trop important. S’ils admettaient que j’avais raison, non seulement ces gros bonnets devaient payer, mais aussi tout le système de contrôle des diamants, jusqu’aux douanes russes, qui délivraient les licences d’exportation de manière incorrecte.

Rivlin travaille sur un livre sur son cas, dans lequel il veut montrer « le vrai visage » de Poutine. Et pourtant, il comprend la décision belge de lutter contre les sanctions sur le commerce des diamants avec la Russie.

« Anvers est dans un dilemme classique du prisonnier avec Tel-Aviv, Dubaï et Mumbai. Mais les sanctions américaines ne sont pas sans effet. Plusieurs négociants en diamants, dont Tiffany et Cartier, ne veulent plus de diamants d’origine russe et les douanes durcissent leurs contrôles. Les sanctions ont déjà atteint Anvers, qu’elle le veuille ou non. Les États-Unis réussissent là où les organisations industrielles échouent.



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