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Roula Khalaf, rédactrice en chef du FT, sélectionne ses histoires préférées dans cette newsletter hebdomadaire.
Le 29 mai 1453, Mehmet II conquiert Constantinople. Ses anciennes murailles, à peine percées en huit siècles, furent renversées par l’armée du sultan. La ville fut proclamée nouvelle capitale de l’Empire Ottoman et plus de mille ans de domination byzantine prirent fin.
Ces murs ont été construits par Théodose II pour protéger la « Nouvelle Rome ». S’étendant de la Corne d’Or à la mer de Marmara, ils marquaient la limite du vieil Istanbul. Au fil des années, ils ont enduré des tremblements de terre, des sièges et l’étalement de la ville, mais leurs portes et fortifications demeurent.
Vers la ville est un voyage le long des murs et à travers les communautés qui vivent à leurs côtés. Tout en s’informant sur les habitants locaux, Alexander Christie-Miller décrit également les épisodes clés de l’histoire récente de la Turquie, notamment l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan et de son parti Justice et Développement (AKP). Il raconte également la conquête de Constantinople par Mehmet (parfois connu sous le nom de Mehmed), un événement que l’AKP a placé « au centre de la conscience historique populaire turque ».
Istanbul abrite un cinquième de la population turque et représente près d’un tiers de son produit intérieur brut. Il attire des gens de toutes les régions du pays, ainsi qu’un large éventail de groupes religieux et ethniques. Cette gamme est illustrée dans les personnages rencontrés par Christie-Miller : un breakdancer semi-professionnel qui a sombré dans la dépendance à l’héroïne ; un chauffeur de taxi dont la fiancée s’est jetée d’une des tours des murs ; l’épouse d’un enseignant güleniste qui a été tué lors de la répression qui a suivi la tentative de coup d’État en 2016 ; et un Kurde dont la famille a fui les violences dans le sud-est du pays, pour finir par travailler dans l’immense nouvel aéroport d’Istanbul.
L’auteur est une présence sensible et patiente, reconstituant ces histoires sur de nombreuses pages. En passant du temps dans un salon de thé, un refuge pour animaux et une ancienne salle des Derviches devenue aujourd’hui une institution universitaire, il fait revivre la riche variété de ces quartiers.
Alors que Christie-Miller se concentre toujours sur les rues entourant les murs, ses personnages offrent un aperçu plus large de la composition sociale et politique de la Turquie. Il est également sensible à la poésie de son environnement, capturée dans des moments de précision lyrique : « Derrière eux, j’ai vu les restes de la digue byzantine suspendus comme un morceau de vieux parchemin étendu pour sécher au soleil. »
Christie-Miller a commencé à vivre à Istanbul en 2010. Au début, il partageait la vision positive de la Turquie de nombreux commentateurs occidentaux : une économie en plein essor, un leader populaire et un allié clé dans la « guerre contre le terrorisme ». Cependant, alors qu’il travaillait comme journaliste, il a été témoin des manifestations du parc Gezi en 2013, de la tentative de coup d’État de 2016 et de la transformation d’Istanbul par un développement imprudent. Bien qu’il se soit marié dans une famille turque, il est retourné en Grande-Bretagne en 2017, et l’histoire de sa désillusion croissante constitue la toile de fond de son voyage.
Plusieurs sujets du livre ont été déplacés par ces développements, avec des maisons et des jardins traditionnels rasés pour faire place à des tours, tandis que des portes en ruine sont reconstruites à la manière de Disney. Tout en évitant la nostalgie, Christie-Miller regrette cette « préférence pour un ersatz d’histoire par rapport à la réalité », ainsi que la destruction délibérée des quartiers historiques et de leurs diverses communautés. La dégradation inconsidérée de l’environnement naturel est un autre thème, et ce n’est pas un hasard si le livre commence et se termine parmi les animaux.
A l’heure, Vers la ville se lit comme une lamentation. Lorsqu’il écrit sur le copinage des dirigeants d’Erdoğan ou sur la triste réponse au tremblement de terre de 2023 dans le sud du pays, l’auteur se rapproche de la colère. Pourtant, la perspective historique du livre rappelle au lecteur à quel point Istanbul a enduré : surmonter le déclin économique, le régime autocratique, la destruction architecturale et la perte de talents à de nombreuses reprises auparavant.
La Constantinople que Mehmet a conquise n’était qu’une enveloppe ratatinée, mais il l’a transformée en une capitale cosmopolite. Les grandes villes ont de nombreuses vies, et peu de villes ont autant survécu que celle-ci.
Vers la ville : vie et mort le long des anciens murs d’Istanbul par Alexander Christie-Miller William Collins 25 £, 416 pages
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