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Roula Khalaf, rédactrice en chef du FT, sélectionne ses histoires préférées dans cette newsletter hebdomadaire.
La victoire à l’élection présidentielle taïwanaise de Lai Ching-te – un homme décrit par Pékin comme un dangereux séparatiste – donne au parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir un troisième mandat sans précédent. À la veille du scrutin, l’Armée populaire de libération de la Chine a averti qu’elle restait « en état d’alerte élevé pour démanteler sous quelque forme que ce soit les complots séparatistes visant à l’indépendance de Taiwan ». Mais la victoire de Lai représente globalement un soutien à la continuité de la part de Tsai Ing-wen, en poste depuis 2016.
Dans leurs premières déclarations après les élections, Pékin et Lai ont adopté un ton relativement conciliant. Le Bureau chinois des affaires de Taiwan a déclaré qu’il « travaillerait avec les partis politiques, les groupes et les personnes de tous horizons à Taiwan pour promouvoir les échanges et la coopération entre les deux rives ». Lai, pour sa part, a appelé Pékin à trouver des moyens de réduire les tensions. Lors d’une conférence de presse, il a reconnu une « responsabilité importante dans le maintien de la paix et de la stabilité » avec la Chine.
Une telle modération est la bienvenue. Les tensions à travers le détroit de Taiwan, le plan d’eau de 180 km qui sépare l’île de la Chine, en font l’un des points chauds les plus dangereux au monde. Pékin revendique Taiwan comme faisant partie de son territoire et menace de l’attaquer si Taipei résiste indéfiniment à l’unification. Le DPP refuse de définir Taiwan comme faisant partie de la Chine.
Pourtant, malgré la rhétorique initiale responsable, la nature incendiaire de la géopolitique régionale reste inchangée. La retenue de Pékin, ainsi que le courage et l’équilibre de l’administration de Lai, sont appelés à se heurter à des épreuves multiples et persistantes. Les deux parties, ainsi que les gouvernements occidentaux, devraient clairement reconnaître les « lignes rouges » dans les relations entre les deux rives et éviter de les franchir en paroles ou en actes.
Un premier test de ce type a été l’arrivée attendue à Taipei dimanche soir d’une délégation américaine de haut niveau composée d’anciens responsables chargés de « transmettre les félicitations du peuple américain ».
Bien que la Chine s’oppose à tout contact officiel entre les gouvernements américain et taïwanais, la construction astucieuse de cette délégation révèle une sensibilité de la part de Washington. En choisissant d’anciens responsables plutôt que des responsables en activité, les États-Unis entretiennent une aura de liens officieux avec Taiwan. La visite américaine a également de nombreux précédents. Des délégations similaires ont été envoyées par les gouvernements américains à Taipei en 2000, 2008 et 2016 après les élections au cours desquelles Taiwan a élu un nouveau président.
La Chine devrait cependant se rendre compte que ses menaces répétées et de longue date à l’encontre de Taiwan, souvent formulées dans un langage à glacer le sang, ont été contre-productives par rapport à ses propres objectifs et à la préservation de la paix dans la région Asie-Pacifique. Même si Lai n’a obtenu que 40 pour cent des voix et que le DPP a perdu le contrôle de l’Assemblée législative, le résultat représente néanmoins un message de défi de la part des électeurs taïwanais envers les menaces pré-électorales de Pékin.
Il incombe désormais à toutes les parties de se concentrer non seulement sur la manière de préserver la paix dans le détroit de Taiwan, mais également sur la manière de réduire les tensions.
Pékin devrait s’abstenir de mener des manœuvres militaires menaçantes autour de Taiwan et atténuer ses menaces d’action militaire. Lai et les autres responsables taïwanais devraient maintenir la discipline rhétorique dont a fait preuve Tsai pendant sa présidence et chercher à favoriser au moins les échanges entre les peuples avec leurs homologues de Chine continentale. Les États-Unis devraient soigneusement calibrer leurs communications officielles sur Taiwan, en prenant soin de ne pas aiguiser inutilement Pékin.
L’équilibre géopolitique actuel autour de Taiwan est à la fois incendiaire et fragile. Mais cela reste infiniment préférable à l’alternative : l’éclatement d’un conflit à travers le détroit qui pourrait dégénérer en guerre entre superpuissances.