A l’intérieur et autour de l’école primaire d’Hénin-Beaumont, port d’attache de Marine Le Pen, reconvertie en bureau de vote, on n’est pas très doué vers midi : « C’est onze candidats contre un ».

Douglas de Coninck24 avril 202220:45

« J’ai vu mon président ! » roucoula une vieille dame, se remémorant un bref contact visuel avec Marine Le Pen. Elle est venue voter vers onze heures avec son idole au bureau de vote 12 de l’école Jean-Jacques Rousseau, en plein cœur d’Hénin-Beaumont.

Les 25 000 âmes que compte l’ancienne cité minière du nord de la France abritent depuis une vingtaine d’années le candidat présidentiel du Rassemblement national. Une fois Le Pen, ses gardes du corps et sa prochaine mafia partis, l’école retrouve sa paix dominicale. Avec seulement quelques électeurs très occasionnellement, la preuve du vote exprimé d’une part et le masque buccal toujours obligatoire de l’autre.

David

« J’ai voté pour Marine, bien sûr », a déclaré David Pellegri (43 ans), chauffeur routier. « Que voulez-vous, dans un pays où notre premier ministre (Jean Castex, DDC) s’est rendu au bureau de vote en jet privé Falcon au premier tour ? Des gens comme ça n’ont absolument aucune idée de ce que c’est : payer une voiture, l’assurance, le ticket de caisse au supermarché ou à la pompe. Je dois me débrouiller avec 1 200 euros. C’est gratter tous les mois. Les prestations baissent, les impôts augmentent. Si vous ne portez pas de masque buccal, vous serez condamné à une amende de 135 euros. D’un flic qui n’en porte pas lui-même et qui quelques instants plus tard monte dans une voiture de police avec trois autres qui n’en portent pas non plus. »

David Pellegri est chauffeur routier. « J’ai voté pour Marine, bien sûr. »Statue Éric de Mildt

David n’a pas beaucoup d’espoir d’une victoire pour Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la gauche, a appelé à ne pas voter pour Macron, mais contre elle. Cela fera toute la différence à la fin de la journée, pense-t-il.

«Je pense que voter est un devoir civique. Ça devrait être comme en Belgique. Vote obligatoire. Qu’ils donneraient des amendes pour cela, pour avoir négligé votre devoir. Je pense aussi : si vous ne votez pas au premier tour, vous devriez perdre votre droit de participer au second tour. Maintenant, partout en France, des gens se mobilisent contre Marine. Avec ce système électoral, rien ne pourra jamais changer.

maire RN

Selon la plaque commémorative, l’école a été solennellement inaugurée le 22 mai 1976 par le maire alors socialiste Jacques Piette. Dans la vingtaine, il était un héros de guerre et à partir de 1944 chef du légendaire réseau de résistance Century, qui a contribué à rendre possible le débarquement des Alliés en Normandie en faisant sauter des poteaux téléphoniques et des ponts. Un tas de décorations comme Piette vous a rendu politiquement invincible dans la France d’après-guerre, et il l’est resté jusqu’à peu de temps avant sa mort en 1990.

Piette a été maire d’Hénin-Beaumont pendant 20 ans. Il a construit le Centre Anne Frank, une maison sociale pour les jeunes. Il a construit cette école. Il a nommé des rues et des places d’après ses amis de la résistance. D’un autre côté, il a dû regarder avec tristesse la fermeture des mines après les miennes dans la région, presque rien ne prenant sa place. Et comment les jeunes cadres du PS passaient d’un scandale financier à l’autre.

Michel Kowalski et ses amis à la terrasse du café de la République.  Statue Éric de Mildt

Michel Kowalski et ses amis à la terrasse du café de la République.Statue Éric de Mildt

A la terrasse du café de la République sur la place du même nom, Michel Kowalski désigne l’hôtel particulier attenant, un cabinet d’avocats. « C’est là que Marine a commencé comme avocate il y a vingt ans », dit-il. « Le vendredi, quand c’est marché, elle vient encore ici boire un verre avec le maire, Steeve Briois (également Rassemblement National, DDC).

Briois et Le Pen ont obtenu la majorité absolue (50,25 %) au conseil municipal en 2014. « Steeve Briois a recollé les morceaux après quarante ans de décadence, raconte Michel. « L’église a été rénovée. Les employés municipaux inactifs ont été licenciés. Les taxes qui étaient inutiles ont été supprimées. Le parc de la ville a fait peau neuve.

« Caméras ! » crie la dame à côté de lui.

« C’est vrai, des caméras de sécurité, partout. Et maintenant, il rénove la piscine.

Au café aussi, avec un tricolore national à côté du bar, on est pessimiste quant à ce que la veille apportera. « C’est onze candidats contre un, précise Michel. « Il ne s’agissait pas de savoir si, mais quand et comment Mélenchon et les autres allaient appeler à voter contre Marine. Alors, c’est reparti : cinq ans de pause magouilles, manigances, et l’enrichissement personnel. Je suis à la retraite depuis 2010. Je n’ai reçu aucun ajustement de ma pension depuis, car la vie devient plus chère mois après mois. Et le pays se remplit de migrants, à qui l’on offre un hôtel de Formule 1 gratuit.

Michel dit qu’il n’est pas par définition contre les migrants. « Je préfère qu’ils viennent d’Ukraine. »

Au bureau de vote Jean-Jaques Rousseau.  Statue Éric de Mildt

Au bureau de vote Jean-Jaques Rousseau.Statue Éric de Mildt

L’école Jean-Jacques Rousseau utilise le vote à l’ancienne. Avec un stylo et du papier et une vitrine à sceller à la fin de la journée dans laquelle flottent les bulletins de vote.

« Macron », dit Luc La Rivière (20 ans) sous sa casquette Nike. « Je ne le dis pas trop fort, car ici à Hénin-Beaumont presque tout le monde vote Le Pen. Il y a deux semaines, j’ai voté Mélenchon, je suis maintenant son appel. Je ne supporte pas ça, ce langage du « tous les migrants dehors » ou de « l’interdiction du foulard ». Ma génération grandit avec des valeurs différentes. Je travaille dans la logistique, ce sont mes potes que Le Pen vise dans ses discours. Macron est aussi loin de ce que je voudrais réellement, mais aujourd’hui, c’est choisir entre pas amusant et très mauvais. »



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