Des artistes les plus célèbres du XIXe siècle aux grands noms du monde contemporain, en passant par le cinéma, la mode et la créativité. Le lien qui unit l’Italie à la Ville Lumière a une longue histoire


« U« Un artiste n’a de maison en Europe qu’à Paris » écrivait Friedrich Nietzsche dans Ecce Homo en 1888. Ernest Hemingway le confirma quelques décennies plus tard : «Si vous avez la chance d’avoir vécu jeune à Paris, où que vous alliez, pour le reste de votre vie, cela restera avec vous.». Combien de créateurs auraient voulu expérimenter le magnétisme de cette ville qui, au XIXe siècle, se préparait à devenir une métropole, un laboratoire artistique et culturel, un théâtre d’une mondanité effervescente ?

Noël est déjà arrivé à Paris : le spectacle de lumière sur les Champs-Elysées

« Du au milieu du XIXe siècle, Paris était considérée comme la plus belle capitale du monde: moderne et bourgeoise, pleine de grands boulevards, de parcs et des premiers grands magasins. Abasourdis par l’Exposition Universelle de 1867, de nombreux artistes choisissent de rester », raconte-t-il. Elisabetta Chiodini, commissaire de l’exposition Boldini, De Nittis et Les Italiens de Paris (au Château de Novare jusqu’au 7 avril 2024). LELe mythe du Parisien est né dans ces années-là grâce à une société dans laquelle des personnages brillants et modernes envoûtaient non seulement par leur charme, mais aussi par leur culture et leur savoir-faire. «Tant que je resterai ici, toutes mes pensées seront de réfléchir à la manière de m’installer à Paris» confiait Giovanni Boldini après une visite à l’Exposition universelle. Il reviendra et son succès lui vaudra même une mention dans Contre-courant de Huysmans : « pénétrant et ductile, nerveux et astucieux… un style expert dans la modulation des nuances compliquées d’une époque elle-même singulièrement complexe ».

Italiens à Paris

«Boldini c’était un idole. Lorsqu’il rencontre Gabrielle, épouse du comte Constantin de Rasty, il est initié à la haute société parisienne ce qui lui permet de devenir l’un des plus grands portraitistes d’Europe » précise Chiodini. «Ami de célèbres couturiers tels que Poiret, Doucet et Paquin, il leur envoyait des dames qui n’exhibaient pas des articles de toilette à son goût dans son atelier». Giuseppe De Nittiil y arrive à Paris à l’âge de 21 ans, noue des relations avec des commerçants de renom jusqu’à rencontrer Léontine, qui en plus d’être mannequin était aussi sa femme et son grand amour. Dans leur salon, les artistes italiens nouvellement arrivés ont rencontré poètes, écrivains et artistes, des frères de Goncourt à Émile Zola. Dans le portrait mondain Vittorio Matteo Corcos s’est démarqué. Apprécié de toutes les cours royales, il resta à Paris jusqu’en 1886, continuant alors à travailler pour le marché français et s’imposant comme portraitiste peut-être encore plus que Boldini. «Si je ne connais pas à l’avance l’homme ou la femme dont je dois faire le portrait», explique l’artiste, «s’ils ne m’invitent pas au petit-déjeuner, je les inviterai. J’ai besoin de manger avec mon modèle. A table, la dame la plus posée se révèle comme elle ne le fera peut-être jamais, même dans une conversation de plusieurs heures dans son salon.

Aide à domicile

Federico Zandomeneghidevenu costumier pour les magazines de mode pour ne pas se soumettre aux règles de peinture imposées par les grands marchands, fut leLe seul Italien inclus parmi les impressionnistespour travailler en contact étroit avec Degas. «Antonio Mancini a également brillé dans le monde du portrait, créant de petites scènes pour chaque tableau, habillant ses personnages de vêtements ad hoc. Il se faisait envoyer des caisses de tissus et de vêtements fabriqués en Italie par son père, tailleur et tisserand », conclut Elisabetta. Acteurs, artistes, chefs…

Combien d’Italiens ont trouvé, ces dernières années, leur réussite et leur dimension dans la Ville Lumière ? Dans Les Italiens. Histoires et rencontres avec des talents italiens qui ont conquis la France (Rizzoli) le journaliste, correspondant et animateur du Tg5 Dario Maltese enchaîne les histoires, fruit d’années de rencontres. « Sans être un traité sociologique, ces récits excluent toute rivalité avec l’Italie. On parle ici de grands esprits qui ont su conquérir la France. Le secret de leur réussite ? Comprendre les codes. Inviter un ami à dîner à la dernière minute en Italie est normal, pour beaucoup à travers les Alpes, c’est presque offensant. Un mode de vie qu’il suffit de codifier et d’accepter, comme leur amour pour leur propre langue », explique-t-il.

Giuseppe De Nittis « Dans le blé » huile sur panneau

Volonté

Giuliano da Empoli, lauréat du Grand Prix du roman de l’Académie française pour Le Mage du Kremlin, il écrit son premier livre en français. Pendant Francesca Bellettini, PDG d’Yves Saint Laurent, célèbre pour avoir quadruplé son chiffre d’affaires, est arrivée sans dire un mot : mais au lieu d’exiger des rencontres en anglais, elle a préféré étudier et participer, dans un premier temps, avec un traducteur. «Il m’a appris quelque chose de beau : si tu as un objectif, tu dois déjà t’imaginer dans ce rôle et te comporter en conséquence».

Le journaliste et écrivain Dario Maltese avec Eleonora Abbagnato, parmi les personnages racontés par ltese
dans son nouveau livre « Les italiens. Histoires et rencontres avec des talents italiens qui ont conquis la France » (Rizzoli).

Ce que ces personnages ont en commun, c’est la volonté, tout comme celui d’Eleonora Abbagnato, admise à treize ans à l’École de l’Opéra de Paris. Dans ce monde très rigide, il a eu la ténacité de rester », souligne Maltese. Allumer votre téléphone pendant un spectacle ou au cinéma ? Une insulte. En France, le respect accordé aux artistes et à leur art est plus grand. Comme le confirment les biographies de Abbagnato et Monica Bellucci. Qui, arrivé d’un petit village pour une séance photo de mannequin, a été intimidé par la ville. Lorsqu’elle a choisi d’y vivre à l’âge adulte, cette beauté l’a accueillie, lui ouvrant une carrière internationale. « Nous sommes reconnus comme ayant une grande capacité managériale : un Français n’a aucun problème à confier sa marque à un Italien car il sait qu’il la met entre d’excellentes mains. Renault a choisi Luca de Meo comme PDG. Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, n’a pas hésité à identifier Pietro Beccari comme président-directeur général de Louis Vuitton », poursuit l’auteur des Italiens.

Giambattista Valli a ouvert sa marque à Paris il y a presque vingt ans : il dînait seul au début, lui, Romain, habitué des grandes tables. Mais il était conscient du fait que son idée de « couture » ne pouvait se réaliser qu’en France. Il est aujourd’hui l’un des rares membres non français de la Chambre Syndicale de la Haute Couture.«La France est une terre d’opportunités, comme une grande famille, nous nous disputons, mais alors nous sommes mieux ensemble. Les Français nous respectent, mais nous avons un complexe d’infériorité injustifié : comme j’ai voulu le démontrer dans ce livre, nous avons autant de classe et de talent qu’eux » conclut Maltese.

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