La politique migratoire britannique est en plein désarroi


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Par un coup juridique unanime, la Cour suprême du Royaume-Uni a renversé le pilier central du plan du gouvernement conservateur visant à tenir l’une de ses principales promesses politiques : « arrêter les bateaux ». Les juges ont statué que l’expulsion vers le Rwanda de certains demandeurs d’asile arrivant d’outre-Manche était illégale – car il existait un risque réel que les véritables réfugiés soient renvoyés vers les pays qu’ils avaient fuis. La décision devrait mettre fin à l’idée d’expédier des migrants vers le Rwanda ou tout autre pays tiers. Cela devrait également mettre un terme aux discussions selon lesquelles la Grande-Bretagne quitterait ou ne ferait plus application de la Convention européenne des droits de l’homme ou d’autres accords humanitaires.

Les « petits bateaux » sont un problème très humain ; des dizaines de personnes sont mortes en effectuant cette traversée dangereuse. Mais les conservateurs en ont fait une question politique sans commune mesure avec le nombre de demandeurs d’asile. L’incapacité à freiner l’arrivée de dizaines de milliers de personnes chaque année est devenue un signe visible de l’échec de la « reprise du contrôle » des frontières britanniques comme promis après le Brexit. Il est également essentiel de montrer qu’il peut contrôler la migration irrégulière si le gouvernement veut plaider en faveur d’une migration réglementée afin de combler les déficits de compétences.

Après avoir consacré 18 mois et 140 millions de livres sterling à la poursuite d’une idée qui était dès le départ douteuse sur le plan juridique et moral, le gouvernement retrouve ses plans en plein désarroi. La loi sur les migrations illégales, qui autorise en théorie le gouvernement à expulser toute personne arrivant par petit bateau depuis la Grande-Bretagne 28 jours après son arrivée, est inapplicable sans un endroit sûr où les envoyer.

L’expulsion de certains migrants vers le Rwanda avait pour but d’en dissuader d’autres. Mais les preuves présentées par l’agence des Nations Unies pour les réfugiés ont convaincu la Cour suprême que le risque que Kigali les rapatrie de force vers des pays où ils pourraient être persécutés était trop élevé. Transformer l’accord entre la Grande-Bretagne et le Rwanda en traité, comme le proposent le Premier ministre Rishi Sunak et le ministre de l’Intérieur James Cleverly, a peu de chances de surmonter les inquiétudes de la Cour.

La possibilité de trouver un autre pays tiers reste ouverte ; L’Italie, principal point d’entrée des migrants dans l’UE, a récemment accepté de construire deux centres en Albanie pour héberger ceux qui tentent d’atteindre ses côtes. Pourtant, convenir d’une autre destination prendrait du temps et pourrait se heurter à des obstacles juridiques similaires. La gestion des migrants par « externalisation » a un mauvais bilan. Les centres que l’Australie a dirigés pendant des années en Papouasie-Nouvelle-Guinée et à Nauru se sont révélés très controversés sur le plan politique, les groupes de défense des droits humains pointant du doigt de nombreux abus.

Il n’existe pas de solution simple au problème des petits bateaux. Mais le gouvernement devrait remettre l’accent là où il aurait toujours dû être : sur la collaboration avec ses voisins européens. Elle devrait travailler avec la France pour mettre en place de véritables centres de traitement outre-Manche. Des efforts conjoints sont nécessaires avec la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne pour éradiquer les réseaux de trafiquants. Dans le cadre d’une telle coopération, elle pourrait revendiquer le droit de renvoyer vers ce pays les demandeurs d’asile potentiels ayant transité par un autre État de l’UE, qu’elle a perdu après le Brexit. Et il devrait ouvrir davantage de couloirs légaux vers le Royaume-Uni, y compris depuis les camps de réfugiés.

Les conservateurs de droite insisteront pour que la Grande-Bretagne quitte la Convention européenne des droits de l’homme, qui compte 46 membres, afin de lui donner « les mains libres » à l’égard des migrants. La Cour suprême a cependant clairement indiqué que la base juridique de sa décision n’était pas seulement la CEDH mais d’autres traités, notamment la Convention relative aux réfugiés de 1951 – que la Grande-Bretagne a été parmi les premiers à signer. Les retirer, ou les bloquer par la législation, nuirait énormément à la réputation du Royaume-Uni et serait un cadeau pour les autocrates du monde.

En outre, la convention européenne est essentielle au fonctionnement d’autres accords importants pour le Royaume-Uni, notamment l’accord du Vendredi saint qui sous-tend la paix en Irlande du Nord. S’il veut vraiment arrêter les bateaux, le gouvernement ne devrait pas perdre plus de temps à essayer de sauver un plan A irréalisable. Tous ses efforts doivent maintenant être consacrés à la poursuite d’un plan B réalisable.



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