L’opinion publique française recevra-t-elle bientôt un coup de pouce décisif ? Le Pen et Macron s’engagent dans un débat âprement médiatisé

A 21 heures ce soir, la vie publique en France s’arrête. On estime que 16,5 millions de Français seront ensuite assis devant la télévision pour regarder l’ultime débat entre le président sortant Emmanuel Macron et sa challenger d’extrême droite Marine Le Pen. Une répétition du grand débat télévisé de 2017, que Le Pen a aigri. Que peut-on attendre de ‘Le Débat’ cette fois ?

Bart Eeckhout20 avril 202218:00

Comment vont les candidats ?

Le président Macron entame le sprint final vers le second tour de scrutin dimanche prochain avec un léger avantage. Comme prévu, il est sorti vainqueur du premier tour avec 27,9 % des voix, contre 23,2 pour la numéro deux Marine Le Pen du Rassemblement national. Les sondages donnent également au président la meilleure chance de remporter le second tour décisif, avec une moyenne actuelle de plus de 55 % contre 44 % pour Le Pen.

L’avance n’est pas tout à fait rassurante pour Macron. Une majorité de 54% désapprouve sa politique – une position qui s’est certes légèrement améliorée depuis que la guerre a éclaté en Ukraine. La grande question est de savoir comment se comporteront les électeurs qui n’ont jusqu’ici pas voté pour Macron ou Le Pen. Le président du centre-libéral devrait être jugé capable de convaincre les électeurs plus jeunes et progressistes-cosmopolites des grandes villes, s’ils viennent voter.

Beaucoup plus large est le pool électoral du populiste de gauche Jean-Luc Mélenchon. Entre-temps, Mélenchon, avec les autres candidats de gauche défaits, a appelé ses sympathisants à opter pour Macron, mais il n’est pas certain que tous ces électeurs le fassent. L’opposition à la politique gouvernementale est assez féroce dans ce groupe, qui présente certaines similitudes avec la base de fans de Le Pen sur le plan socio-économique.

Que verrons-nous ce soir ?

Ils débutent à 21 heures, dans un plateau télé du quartier parisien de Saint-Denis, à deux pas du Stade de France. Le débat durera environ deux heures et demie et sera retransmis en direct sur TF1 et France 2. Il n’y a pas de public dans le studio, les téléspectateurs ne peuvent donc pas être influencés par les rires, les applaudissements ou les huées de la salle. Pas moins de seize caméras suivent le duel.

Par tirage au sort, il est décidé de l’ordre des sujets et du premier à prendre la parole. Marine Le Pen devrait être la première à évoquer le pouvoir d’achat, son thème de prédilection. La politique internationale, la sécurité, le climat et la bonne gouvernance seraient également abordés.

Tout a été négocié longuement et éreintant. Par exemple, l’équipe Le Pen a opposé son veto à la présentatrice de France 2 Anne-Sophie Le Pix en tant que co-présentatrice du débat, car elle était trop critique à l’égard de la droite radicale. Les honneurs sont désormais payés par la reporter politique Léa Salamé (France 2) et le présentateur de JT Gilles Bouleau (TF1). Ils sont assis à exactement quatre mètres des candidats, qui disposent chacun d’une table distincte : Macron est à gauche, Le Pen à droite. Même la température dans le studio est figée : une fraîcheur de 19 degrés, importante pour épargner aux candidats des perles de sueur défavorables sur le front.

Une attention particulière sera portée à l’utilisation de « plans intermédiaires » dans lesquels apparaît le candidat qui ne parle pas. Marine Le Pen garde un mauvais souvenir de ces images de l’édition 2017. Puis la caméra a enregistré comment elle fouillait dans ses puces de débat, quelque peu alarmée.

C’était comment la dernière fois ?

Le dicton dit qu’on ne peut pas gagner une élection présidentielle dans un débat télévisé, mais Marine Le Pen a prouvé en 2017 qu’on peut définitivement les y perdre. Son passage il y a cinq ans a été un désastre total, comme son propre environnement l’admet. Le Pen est sorti de la campagne épuisé et semblait à peine préparé pour une bataille de fond. Gesticulant sauvagement, improvisant et hésitant face à ses propres arguments, elle a donné une impression agressive et désespérée à un Macron calme et décisif. Au terme de cette mémorable soirée télévisée, la course semblait terminée.

Éviter une répétition de ce scénario catastrophe est l’objectif principal de l’équipe Le Pen. Le temps a maintenant été pris pour la préparation. Après un ultime moment public dans le Calvados normand, le candidat d’extrême droite s’est isolé pour des débats d’entraînement. Curieusement, la catastrophe de 2017 offre un avantage à Le Pen. Faire mieux qu’avant : ça ne peut pas être si difficile. Si elle peut se tenir contre Macron cette fois, ce sera déjà encadré comme une demi-victoire.

Emmanuel Macron devrait être le meilleur débatteur, mais encore une fois, il doit faire attention à ne pas apparaître comme trop pédant et condescendant, afin que son adversaire puisse facilement revendiquer la sympathie des outsiders. La guerre en Ukraine lui donne un bonus « présidentiel », mais peut aussi lui avoir coûté du temps pour se préparer. Macron a refusé de participer à tout débat télévisé avant le premier tour. Donc c’est en haut ou en bas pour lui aussi.

Quels sont les atouts de Macron ?

En tant que président en crise, avec une guerre aux portes de l’Europe, Macron peut profiter d’un certain sentiment de “ralliement autour du drapeau”. Macron aime revendiquer une place de premier plan en Europe, s’est envolé vers et depuis Moscou pour négocier (en vain), mais les Français ne peuvent pas dire que leur président n’est pas occupé avec l’essentiel. L’élection d’un président d’extrême droite enverrait la France sur une voie fragile, et ce n’est pas le moment pour de telles aventures, a déclaré Macron avec empressement. Le président peut également se vanter d’un bilan de politique intérieure, dans lequel il a mis le pays sur une voie plus moderne et économiquement plus favorable.

Quelle est sa faiblesse ?

Un problème majeur, cependant, est que cette politique de centre libéral n’est pas également populaire auprès de tout le monde. Les tentatives de falsification du régime de retraite, par exemple, se sont heurtées à une large opposition. Macron en est conscient : les côtés durs de la politique corona assez stricte et dirigiste ont déjà été vendus aux enchères auparavant, et il fixe même des plafonds de prix contre la crise énergétique. Même cela ne peut empêcher le « pouvoir d’achat » de rester un sujet difficile pour le chef de l’Etat sortant.

Quels sont les atouts de Marine Le Pen ?

Le Pen de ce soir n’est plus comme il y a cinq ans. Les nuances xénophobes et incendiaires demeurent, mais les coins les plus méchants de son argumentation ont été arrondis. A tel point qu’une partie de son parti a fait défection opportuniste dans le camp du concurrent Eric Zemmour, qui puise encore plus farouchement dans le baril de la haine musulmane. Le Pen se concentre désormais davantage sur un programme socio-économique de gauche populiste qui, traduit en Belgique, est plus proche du PVDA que du Vlaams Belang. Bien que sans aucune boucle progressiste, bien sûr : pour Le Pen pas un centime ne doit aller à la politique climatique, sauf à l’énergie nucléaire.

Quelle est sa faiblesse ?

Son handicap majeur est évident : Poutine, Poutine et encore Poutine. Juste avant que la guerre n’éclate, elle a appelé son pays à quitter l’OTAN. Une brochure électorale avec une photo dans laquelle Le Pen serrait fièrement la main du “leader mondial” Poutine a dû disparaître dans la déchiqueteuse à la hâte. Les empreintes digitales de l’autocrate russe sur l’orientation internationale et eurosceptique de Le Pen restent indéniablement importantes : elle est l’une des politiciennes européennes connues pour avoir, ou leur parti, accepté de l’argent du Kremlin. Ce qui pose la question fondamentale de savoir qui elle écoutera, si elle devait un jour répondre au téléphone en tant que « madame la Présidente » à l’Elysée.



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