5 recommandations pour la Journée mondiale du livre


Film Méditations (Quentin Tarantino)
Un cinéaste meurt et un écrivain est né. « The Movie Critic » sera le dixième et dernier film de Tarantino. C’est ce que le réalisateur assure depuis plus d’une décennie. Mais, d’un autre côté, il a commencé une carrière d’écrivain des plus prometteurs. Après la novélisation de ‘Once upon a time in Hollywood’ (Reservoir Books, 2021), vient son premier livre de film. Et c’est une joie. ‘Film Meditations’ (Reservoir Books) est un mélange de biographie cinématographique et d’analyse des films des années 70. Ceux que Tarantino aime ou l’a marqué d’une certaine manière. Avec qui il grandit et forge ses goûts cinématographiques : ‘Bullitt’, ‘Sisters’, ‘Taxi Driver’, ‘House of Horrors’…

À l’exception de quelques chapitres consacrés au récit de sa formation cinématographique et à l’analyse du Nouvel Hollywood, les autres se concentrent sur la discussion d’un film spécifique. Mais pour parler comme le fait Tarantino, émaillant son discours torrentueux et passionné d’anecdotes croustillantes, révélant références et opinions savantes. Également controversé et discutable, comme devraient l’être des opinions sincères. Certains auxquels vous ne vous attendez pas, comme faire du Matador d’Almodóvar l’exemple à suivre pour les cinéastes à une époque, « la décennie horrifiante des années 80 », où le cinéma hollywoodien est devenu extrêmement conservateur. C’est juste un avant-goût de ce que l’un des livres de films les plus drôles, les plus spirituels et les plus contagieux publiés depuis longtemps a à offrir. 8.5.

Le portrait marié (Maggie O’Farrell)
Maggie O’Farrell a le vent en poupe. Après son célèbre « Hamnet » (l’un des meilleurs livres de 2021), l’auteure nord-irlandaise revient avec un autre grand roman, également situé au XVIe siècle. ‘Le portrait marié’ (Livres de l’astéroïde) raconte la courte vie de Lucrèce de Médicis, troisième fille du grand-duc de Toscane, qui a été forcée de se marier à l’âge de 13 ans (avec le duc de Ferrare, âgé de 28 ans) et mort avec 16 ans dans des circonstances peu claires. Une fille sensible, inquiète et rebelle, très douée pour le dessin, qui avait un « problème » pour quelqu’un de sa condition : elle préférait peindre qu’être peinte.

Lucrecia est-elle morte de « fièvres putrides », comme le souligne la version officielle ? Ou a-t-elle été tuée par son mari, fatiguée d’attendre un héritier ? De ce fait, à partir de la mort énigmatique de Lucrecia, O’Farrell recrée la vie du jeune Médicis. L’auteur démontre une fois de plus sa capacité à transmettre les pensées, les émotions et l’intimité de son protagoniste à travers une prose captivante et une utilisation exceptionnelle de la troisième personne. Comme fiction historique, bien que le récit soit quelque peu alourdi par un excès de description, cela fonctionne très bien. L’auteur fait une analyse sociale intéressante sur le passé, sur la situation des femmes dans la Renaissance italienne, avec des échos révélateurs dans le présent. Si vous avez aimé ‘Hamnet’, ne le manquez pas. 7.5.

‘Anoxie’ (Miguel Ángel Hernández)
Après l’extraordinaire roman de non-fiction ‘El dolor de los demás’, Miguel Ángel Hernández revient à la pure fiction –celle de son tout aussi prodigieux ‘Escape Attempt’- avec ‘Anoxia’ (tous publiés chez Anagrama). L’origine de cette histoire doit être trouvée dans un film d’Amenábar : ‘Los otros’ (2001). C’est là que Hernández a découvert l’existence des portraits post-mortem, le genre photographique du défunt devenu populaire au XIXe siècle. L’écrivain est devenu obsédé par le sujet (cela est également arrivé à Carlos Areces, qui est devenu collectionneur et a récemment publié le volume ‘Post Mortem’) et a commencé à rechercher et à réfléchir à la manière de construire une histoire sur ce sujet.

Le résultat de cette recherche est le magnifique ‘Anoxia’. À partir d’un postulat irrésistible, digne d’un thriller policier -une veuve propriétaire d’un magasin de photographie décadent est chargée de représenter un défunt le jour de son enterrement-, Miguel Ángel Hernández construit une histoire sur la photographie comme conservatrice de la mémoire, sur notre rapport à la mort et sur les difficultés à affronter le passé, à surmonter un duel. Une réflexion sur la vie et la mort, sur le sentiment de vivre ou de vivre comme si nous étions morts, qui comprend également un commentaire social : la mort due à la contamination de la Mar Menor, les inondations survenues en 2019 qui ont causé la mort de milliers de poissons à cause de l’anoxie, le manque d’oxygène dans l’eau. 8.

« Warhol : la vie comme art » (Blake Gopnik)
Si vous avez aimé la mini-série ‘The Andy Warhol Diaries’, vous serez sûrement intéressé par cette biographie monumentale : plus de mille pages qui sont complétées par sept cents autres d’une annexe de notes disponible sur le site américain de HarperCollins. L’historien et critique d’art Blake Gopnik a suivi la trace – documentaire et sociale – laissée par Andy Warhol au cours de sa vie pour rencontrer Andrew Warhola, le fils timide, maladif et « bizarre » d’un couple marié d’immigrants slovaques arrivé à Pittsburgh au début 20ième siècle. Un homme qui se cachait sous une perruque platine et une apparence asexuée, mentant constamment sur lui-même.

‘Warhol: Life as Art’ est structuré au moyen de deux lignes thématiques principales. Le premier est axé sur le démantèlement des mythes qui entourent l’artiste. L’accès à des documents de jeunesse de Warhol a permis à Gopnik d’apprendre comment son masque a été construit : comme bouclier protecteur de son homosexualité, comme déguisement pour surmonter sa timidité et son insécurité d’artiste et, enfin, comme stratégie publicitaire. La deuxième ligne comprend l’analyse de l’œuvre de Warhol : sa signification, son influence, ainsi que la description de la scène (contre)culturelle où il régnait en tant que grand gourou du pop art et promoteur du rock expérimental et du cinéma underground. 8.

‘Le Tueur’ (Matz / Luc Jacamon)
C’est l’un des films les plus attendus de l’année. David Fincher à la réalisation, Michael Fassbender et Tilda Swinton en protagonistes, Trent Reznor et Atticus Ross à la musique, et Andrew Kevin Walker -le scénariste de ‘Seven’- adaptant le roman graphique écrit par Alexis Nolent, plus connu sous son pseudonyme dans Bandes dessinées de Matz. Fincher et Matz se connaissaient déjà : ils ont travaillé ensemble sur l’adaptation en bande dessinée du classique ‘The Black Dahlia’. Et l’écrivain français avait déjà été emmené au cinéma à Hollywood : ‘Une balle dans la tête’ (2012), de Walter Hill.

A l’occasion de cette première, prévue en novembre, Norma a publié l’édition complète de ‘El asesino’. Deux volumes dans lesquels est racontée l’histoire d’un tueur à gages solitaire et meurtrier, à la León dans « El profesional » (1994), qui exécute ses ordres avec une énorme méticulosité et passe son temps libre avant d’appuyer sur la gâchette à philosopher sur un ton cynique et amer (il y a plus de reflets hors écran que de dialogues, voyons comment ils le transfèrent à l’écran). Un néo-noir violent, bourré de personnages désagréables, raconté de manière très séduisante par Matz, grâce aussi au dessin de Luc Jacamon, au style clair ponctué de vignettes presque expérimentales d’une grande expressivité. 7.5.



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