5 recommandations pour la Journée du livre 2022


La gomme de Nina Simone (Warren Ellis)
Nick Cave l’a raconté à de nombreuses reprises, dans des documentaires et des interviews. Le 1er juillet 1999, Nina Simone donne un concert à Londres organisé par le musicien australien. Après avoir pris un goûter à base de champagne, cocaïne et saucisses, la grande prêtresse de l’âme, malade, pouvant à peine marcher (elle mourra quatre ans plus tard), a offert une prestation grandiose et inoubliable.

Parmi les spectateurs extatiques se trouvait Warren Ellis, collaborateur de Cave et membre de Dirty Three. À la fin de la représentation, il n’a pas hésité : il est monté sur scène et a gardé la gomme que Miss Simone avait collée sur le piano. La relique est restée enveloppée dans une serviette pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’en 2019 elle soit exposée comme pièce de musée – sur un socle en marbre – lors d’une exposition à Copenhague.

‘El chicle de Nina Simone’ s’articule autour de cet objet, dans sa double facette de relique et de métaphore. Mélange d’autobiographie, d’essai et de chronique de voyage (du chemin suivi par le chewing-gum), Ellis mâche souvenirs et réflexions avec une grande agilité, un éclectisme joyeux et une émotion de fan. Le musicien évoque son enfance et comment la gomme de Nina s’est retrouvée dans un musée, son parcours dans la musique et ses fétiches musicaux, sa passion pour Simone et le concert qui a marqué sa vie à jamais. Tout cela accompagné de captures d’écran de conversations mobiles, de transcriptions d’e-mails et d’une fabuleuse sélection de photographies. 7.5.

Cendre dans la bouche (Brenda Navarro)
Après son célèbre premier ‘Empty Houses’ (Sixth Floor), la Mexicaine Brenda Navarro revient avec un autre merveilleux roman. ‘Ceniza en la boca’ commence par une chanson et un suicide. La chanson est ‘Sympathy’ de Vampire Weekend. Et le suicide appartient à Diego García, le frère du protagoniste, fan du groupe new-yorkais et dont le nom coïncide avec celui de l’atoll nommé dans la chanson et qui fonctionne très bien comme métaphore. De cet événement traumatisant -Diego se jette d’un cinquième étage dans le quartier madrilène de Pilar-, accompagné de l’écho du bruit du corps qui s’écrase contre le sol, sa sœur raconte l’histoire de sa famille : son enfance au Mexique avec son ses grands-parents, son déménagement à Madrid, où sa mère est partie travailler comme gardienne après être devenue veuve, ses tentatives de se frayer un chemin à Barcelone sous la stigmatisation et les limites d’être une « panchita »…

Raconté sous la forme d’un monologue (ou d’un dialogue avec soi-même), « Ceniza en la boca » est un roman à la formation vibrante et déchirante, non dépourvue d’une fine ironie. Un parcours physique et initiatique marqué par le déracinement, la xénophobie et la précarité. Une chute vers la maturité, une interruption forcée de l’adolescence, pleine de blessures, de fractures et d’amputations émotionnelles. 7.9.

M. Wilder et moi (Jonathan Coe)
« Je ne peux vraiment pas perdre avec ce film », a commenté Billy Wilder à propos de « Fedora » (1978), son avant-dernier film, produit par une société de production allemande face au refus d’Universal de le financer. « Si c’est très réussi, ce sera ma revanche contre Hollywood. Et si c’est un échec, ce sera ma revanche sur ce qui s’est passé à Auschwitz » (sa mère a été assassinée par les nazis). En fin de compte, c’était ce dernier. Le film échoue au box-office et marque le début de la fin de la carrière du réalisateur mythique (il ne tournera que la médiocre comédie ‘Ici, un ami’).

« Mr Wilder et moi » se déroule pendant le tournage de « Fedora » à Corfou. A travers le rôle principal d’un interprète grec, le réalisateur britannique Jonathan Coe (« Quel casting ! », « Expo 58 ») dépeint, avec beaucoup d’ingéniosité et de charme, le déclin du brillant réalisateur, sa complicité avec le non moins brillant scénariste IAL Diamond (auteur de ‘Avec des jupes et des fous’, ‘L’appartement’ ou ‘Fedora’ lui-même), et les profonds changements qui s’opéraient à Hollywood durant ces années avec l’apparition du « panda barbu »: Spielberg, Scorsese, Coppola… Un hommage cinéphile teinté de mélancolie qui comprend un épisode fabuleux : l’évocation de la fuite de Wilder de l’Allemagne nazie racontée sous forme de scénario. 8.

Les étrangers (Jon Bilbao)
OVNIS à Ribadesella. L’Asturien Jon Bilbao récupère les protagonistes de son précédent « Basilisco » (Impedimenta), Jon et Katharina, et les enferme dans un manoir à Rio de Janeiro pendant l’hiver cantabrique. L’apparition d’étranges lumières dans le ciel et l’arrivée chez des « inconnus » – un cousin éloigné dont Jon n’est pas sûr de se souvenir et son assistante – vont déclencher une histoire de mystère et d’ennui conjugal imprégnée d’un puissant sentiment d’agitation et d’étrangeté.

Bilbao démontre sa capacité à combiner l’ordinaire et l’extraordinaire, à raconter le processus de désintégration d’un ordre quotidien et familier, à travers l’introduction presque imperceptible d’un élément déstabilisant et sinistre. Cette visite inattendue permet à l’auteur d’articuler une histoire presque de terreur, de vampirisme émotionnel. Mais aussi de réfléchir sur l’insatisfaction conjugale et le vide existentiel, sur le besoin qu’on a parfois d’aborder le mystérieux, l’inconnu -qu’il s’agisse d’un lointain cousin énigmatique ou d’un étrange objet volant- comme une manière de rompre avec le quotidien et de retrouver une certaine tension vitale, une certaine volonté de vivre. 7.5.

Batman : le long Halloween (Jeph Loeb, Tim Sale)
C’est l’une des plus grandes sources d’inspiration pour ‘The Batman’ avec ‘Batman : Year One’ (1987). Profitant de la première du film, ECC a réédité « The Long Halloween » dans une édition « de luxe ». Publiée à l’origine dans les années 1990, cette bande dessinée est devenue l’un des titres phares de Batman, un classique historique juste un cran en dessous des chefs-d’œuvre de Batman de Frank Miller.

De ces pages sont sortis l’intrigue mafieuse du film avec Carmine Falcone (la bande dessinée est fortement influencée par ‘Le Parrain’), l’histoire policière à la recherche d’un mystérieux tueur en série, le jeu du chat et de la souris avec Catwoman et l’idée du séquence d’ouverture définie pendant les vacances d’Halloween. « The Long Halloween » est un Batman au parfum de spaghetti avec un décor néo-noir, une histoire criminelle qui grandit en intensité et en menaces jusqu’à ce qu’elle explose dans un point culminant final superlatif, pendant la nuit des morts, pleine de sang et de surprises. 8.



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