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L’auteur est un rédacteur collaborateur du FT et rédige le bulletin d’information Chartbook.

Ce fut une année de conflits et de violences consternantes. La guerre en Ukraine, le risque d’un affrontement entre superpuissances en mer de Chine méridionale et l’explosion de la violence en Palestine et en Israël forment un terrible trio. Dans chacun de ces domaines, la paix qui a suivi la fin de la guerre froide est désormais fondamentalement remise en question.

Derrière cette recrudescence des tensions internationales, il est tentant pour les analystes occidentaux de voir un « axe du mal » à l’œuvre. L’assaut de Poutine contre l’Ukraine fait suite aux violentes incursions des forces russes en Syrie et en Libye. La Russie est étroitement liée à l’Iran, qui est le principal sponsor du Hamas et du Hezbollah. La Chine est le principal acheteur des exportations pétrolières iraniennes sanctionnées et également le partenaire qui permet à la Russie d’échapper aux sanctions occidentales.

Mais au-delà des machinations de cette coalition anti-occidentale, nous devons nous demander pourquoi les frontières de l’ex-Union soviétique, du Moyen-Orient et de l’Asie de l’Est sont autant vulnérables à la déstabilisation. Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’après la guerre froide, ils ont été le théâtre d’efforts visant à fonder la paix non pas sur un nébuleux « ordre international fondé sur des règles », mais sur quelque chose de plus substantiel : l’économie.

À partir des années 1990, «Wandel par handel» (la transformation par le commerce) était la maxime des décideurs politiques occidentaux. Sous le consensus de Washington et la domination militaire américaine, on croyait fermement que la géopolitique n’était pas pertinente ou qu’elle serait maîtrisée par le développement économique. À son apogée en 2021, le stock d’investissements directs étrangers en Russie a atteint 500 milliards de dollars. Les administrations Clinton, Bush et Obama ont toutes essayé de faire de Pékin une « partie prenante responsable ». Pendant ce temps, l’ancien Premier ministre israélien Shimon Peres a vanté une vision du « nouveau Moyen-Orient » dans lequel les divisions amères seraient guéries, comme celles de l’Europe, par la croissance économique et l’interdépendance.

Ce n’était pas une pure illusion. La « Chimérique » a lié des pans importants des économies américaine et chinoise en une seule unité. En Russie, l’occidentalisation a transformé la vie de millions de personnes. Au Moyen-Orient, une nouvelle élite tournée vers l’Occident a remodelé la politique régionale. Tel Aviv est devenue un croisement entre Brooklyn et la Silicon Valley. La croissance économique d’Israël était très attractive. Les accords d’Abraham sont la concrétisation d’une paix économique entre Israël et les Émirats arabes unis.

Mais la vision de doux commerce a toujours été susceptible d’être perturbée par la violence politique. Au Moyen-Orient, la lutte d’Israël contre la deuxième Intifada a semé les graines de la radicalisation du Hamas et s’est intégrée dans la guerre ruineuse contre le terrorisme menée par Washington. La Russie a manifesté sa détermination à résister violemment à toute nouvelle extension de l’influence occidentale avec sa campagne de répression contre la Géorgie en août 2008. Sous Xi, la Chine a placé un tout nouvel accent sur l’Armée populaire de libération en tant que centre de puissance à la fois intérieure et extérieure.

Et ce n’est pas seulement que les forces militaires remettent en question la formule de la paix économique. L’économie elle-même n’est pas neutre. La croissance a fourni des ressources aux concurrents de nombreuses régions en conflit. Les exportations d’énergie de la Russie continuent d’alimenter sa machine de guerre, alors même que l’Occident confisque des centaines de milliards de réserves. La Chine est si profondément interconnectée qu’il est dangereux de la sanctionner, alors que sa croissance économique signifie qu’elle peut difficilement éviter de devenir une superpuissance militaire. En Israël, un élément central de la grande stratégie de Benjamin Netanyahu a été de rendre le pays invulnérable aux pressions étrangères, en renforçant ses exportations et en constituant une réserve de change démesurée. Il n’y aura pas de retour aux situations désespérées des années 1970 et 1980.

La croissance économique n’engendre donc pas la paix mais les moyens de rivalité. Pendant ce temps, la faiblesse économique génère de la vulnérabilité. L’embarras de l’Occident lors de la crise financière de 2008 a enhardi la Chine. C’est la situation économique désastreuse de l’Ukraine qui a déclenché les tergiversations frénétiques entre Bruxelles et Moscou en 2013, qui ont conduit à la crise de Maïdan et à l’incursion de la Russie. Au Moyen-Orient, la fragilité économique et le dé-développement de la Palestine ont vidé de son sens la solution à deux États et ouvert la voie à la réduction de Gaza, une ancienne plaque tournante du commerce régional, à une zone de libre-échange.

L’erreur n’a pas été de croire que l’interconnexion économique produit de véritables changements sociaux, économiques et politiques. Ça faisait. L’erreur a été d’imaginer que cette transformation était un processus à sens unique qui garantirait automatiquement l’ordre – et cet ordre serait du goût de l’Occident. C’était une leçon simpliste que la guerre froide des années 1980 aurait enseignée, et que notre expérience de 2023 aurait finalement dû mettre de côté.



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