10 livres recommandés à emporter dans la nacelle cet été 2023


Le dernier rêve (Pedro Almodóvar)
Quiconque a lu l’un des scénarios d’Almodóvar sur les six qu’il a publiés ou ses écrits de l’époque de la Movida –’Fire in the bows’ (réédité en 2013 par La Cúpula) et ‘Patty Diphusa’ (Anagrama)- aura rendu compte que le « réalisateur de La Mancha » est un merveilleux écrivain. En fait, la littérature était sa première vocation. C’est aussi un lecteur vorace, comme en témoigne son film le plus autobiographique, « Douleur et gloire ».

‘The Last Dream’ (Reservoir Books) peut être lu, ainsi qu’un recueil hétéroclite et très divertissant d’histoires (certaines facilement identifiables comme des esquisses pour ses futurs films), comme un mémoire, une autobiographie « fragmentée, incomplète et un peu cryptique », comme l’explique Almodóvar lui-même dans l’introduction. Les douze histoires s’étendent de la fin des années soixante, lorsque Pedro était un adolescent écrivant dans le patio de sa maison familiale « sous une vigne et avec un lapin écorché suspendu », à nos jours, avec l’histoire « Un mauvais roman », où il se demande pourquoi il n’a jamais écrit de roman, même s’il était mauvais. Après avoir été bien accueilli par ce ‘The Last Dream’ (titre d’une histoire émouvante sur la mort de sa mère), qui sait s’il finira par s’encourager à l’écrire. 7.5.

Une place pour Mungo (Douglas Stuart)
Si c’est déjà assez de pression pour publier un deuxième roman après avoir remporté le Booker Prize –avec l’extraordinaire ‘Shuggie Bain Story’-, c’est encore plus de le faire avec une histoire qui, a priori, ressemble beaucoup à la précédente. Même environnement (un quartier populaire de Glasgow), environnement familial similaire (désorganisé, avec une mère alcoolique) et protagoniste similaire (un adolescent sensible et timide ayant des difficultés à exprimer son homosexualité dans un environnement violent et homophobe). La deuxième partie de ‘The Shuggie Bain Story’ ? Douglas Stuart a-t-il joué la sécurité?

Rien de cela. « A Place for Mungo » (Random House) partage les signes vitaux du roman précédent de Stuart, mais l’approche est très différente. C’est tout aussi dur, déprimant et violent. La pauvreté, le sectarisme politico-religieux et l’homosexualité continuent d’être les moteurs dramatiques de l’histoire. Mais cette fois, les hommes sont les protagonistes. Masculinité, violence et souffrance associées aux codes moraux hétéropatriarcaux, brutalités tribales (combats entre gangs), isolement affectif… Bref, tout ce que « se faire un homme » implique est exploré. Et Stuart le raconte avec sa maîtrise habituelle : avec un réalisme saisissant, un humour guérisseur et une tendresse dévastatrice. 8.5.

Lapvone (Ottessa Moshfegh)
Comme les romans d’Ottessa Moshfegh sont bons. Presque chaque année, on glisse dans cette sélection estivale : « Je m’appelais Eileen » (elle vient d’être adaptée au cinéma par William Oldroyd, le réalisateur de « Lady Macbeth », avec Anne Hathaway et Thomasin McKenzie), « Mon année de repos et détente’… Et maintenant ‘Lapvona’ (Alfaguara), la formidable ‘Lapvona’. Situé dans un village médiéval d’Europe de l’Est (l’auteur s’est inspirée de ses ancêtres maternels croates), l’histoire racontée par Moshfegh est on ne peut plus sanglante, scatologique (dans les deux sens du terme) et macabre.

‘Lapvona’ est un conte gothique très sombre et extrêmement libre, presque folklorique, qui a valu à l’auteur des menaces d’annulation (Moshfegh a expliqué à plusieurs reprises que l’agenda politique des réseaux sociaux passait par la « lapvona ») et a choqué le noyau même John Waters. Le roman, narré à la troisième personne (Moshfegh utilise généralement la première), décrit un monde horrible, sale et violent, comme un cauchemar sadien où la difformité morale, d’héritage chrétien, engendre des monstres. Une fable grotesque, imprégnée d’une ironie boueuse, aussi répugnante que fascinante. 8.

Tu aurais dû y aller (Daniel Kehlmann)
Oubliez – si vous l’avez vu, car il est passé directement en streaming et est sorti en catimini – la médiocre adaptation réalisée par Blumhouse : ‘You Should Have Left’ (2020), une tentative (raté) de rééditer le succès de ‘ The Last Step », réunissant le scénariste-réalisateur David Koepp avec Kevin Bacon en tête. Faire bien le sujet : « le roman est (beaucoup) mieux ».

« You Should Have Gone » (Random House) est un excellent thriller sur les transats de plage : court, ludique et très absorbant. Un scénariste en pleine crise créative et conjugale s’installe avec sa femme et sa fille dans une fabuleuse maison de montagne. Nous sommes en décembre, au milieu de l’hiver. « Un nouvel environnement, de nouvelles idées, un nouveau départ », écrit l’écrivain, qui est celui qui raconte l’histoire à la première personne. Cependant, quelque chose d’étrange se produit dans cette maison. L’Allemand Daniel Kehlmann, auteur de ‘Fame’ (Anagram, 2009) ou du best-seller ‘Tyll’ (Random House, 2019), démontre sa capacité à gérer les attentes des lecteurs en construisant une histoire mystérieuse dérangeante, aux échos de ‘La casa des feuilles’. ‘ et ‘The Shining’ (il y a une référence explicite à « ce film Steadicam »), où les contours de la réalité se tordent comme un visage dans une grimace de terreur. Quelle honte d’adaptation, hein… 7.5.

Éducation physique (Rosario Villajos)
Le prix Biblioteca Breve de Seix Barral ne déçoit généralement pas. Du moins ces dernières années : ‘Clean Wheat’ (Juan Manuel Gil), ‘Night and Ocean’ (Raquel Taranilla), ‘War Trilogy’ (Agustín Fernández Mallo)… Celle de 2023 leur a été confiée sous peu. Rosario Villajos, un auteur qui jusqu’à présent avait travaillé dans le domaine des petits éditeurs tels que Menoslobos de Leon (« Ramona », 2019) et Aristas Martínez de Madrid (« La muela », 2021).

‘La educación física’ narra cuatro horas en la vida de una adolescente, una chica de 16 años que hace autostop una tarde de agosto de 1994 después de haber huido de la casa de su mejor amiga tras vivir un “desagradable percance” con el padre de cette. Quiconque était jeune à cette époque, et plus encore si c’est une femme, fera bientôt le rapprochement : le crime des filles Alcasser plane sur le roman comme une peur ancestrale. À partir de ce moment, l’histoire se développe avec la peur du personnage principal d’arriver tard à la maison (ou de ne pas arriver du tout). Un compte à rebours déchirant interrompu par de nombreuses fuites narratives qui finissent par façonner le portrait de l’adolescente, une vie marquée par la culpabilité, le rapport compliqué à son corps et au regard masculin. 7.2.

Rois errants (Joseph O’Connor)
Joseph O’Connor sait de quoi il parle. L’écrivain irlandais, connu en Espagne pour le thriller historique « Le crime de l’étoile de la mer » (Seix Barral), est le frère de Sinéad O’Connor. Dans ‘Tramp Kings’ (Impedimenta) -le titre original, ‘The Thrill of It All’, est tiré d’une chanson de Roxy Music- raconte l’ascension et la chute d’un groupe de rock sur la scène pop britannique des années 1990. 80. Oui, l’intrigue et le cadre sont plus éculés que de dire « zasca », mais le traitement narratif qu’O’Connor lui donne ne l’est pas.

‘Reyes vagabuldos’ (Impedimenta) est raconté à la première personne, sous forme de mémoire, par le guitariste du groupe. Le protagoniste raconte son expérience dans la formation du groupe fictif Ships in the Night dans le Luton gris et Thatcherista des années 80. Une histoire ironique et mélancolique sur la musique, l’amitié, l’amour et les rêves de jeunesse, pleine de réflexions précieuses, d’expériences émotionnelles et d’illustrations références musicales. Le tout assaisonné de jeux métafictionnels suggestifs comme l’inclusion d’extraits d’entretiens avec les membres du groupe, des fragments de journaux intimes ou l’apparition de personnages réels. Comme dit : mêmes paroles, mais musique différente. 7.

L’Affaire Arnolfini (Jean-Philippe Postel)
Le mariage Arnolfini‘ est le ‘Jardin des délices terrestres’ de la National Gallery : une peinture devant laquelle les spectateurs louchent et parlent en montrant du doigt. La peinture énigmatique de Jan Van Eyck regorge de détails invisibles à l’œil nu. Les interprétations se sont succédées au fil des années. Et si un mariage Et si autoportrait du peintre et de sa femme. Et si un ange annonçait la Vierge. Et si un chiromancien lisait la paume d’une femme enceinte. Et si un hommage funèbre d’Arnolfini à sa femme décédée lors de son accouchement…

‘El affaire Arnolfini’ (Cliff) tire le fil interprétatif de cette dernière théorie. Inspiré de la célèbre séquence ‘Blow-Up’ (1966) (plus tard tournée dans ‘Blade Runner’), Jean-Philippe Postel examine le tableau en élargissant ses détails pour révéler ce que le tableau cache, en appliquant les méthodes d’observation clinique (Postel était médecin) à son travail pictural. Le résultat de cette « analyse médico-légale » est une lecture fascinante du « Mariage Arnolfini », une (sur)interprétation qui se déguste presque comme un roman policier. Quelque chose comme ‘Room 237’ (2012), le documentaire sur ‘The Shining’, appliqué à ‘Le mariage Arnolfini’. 7.

Premier sang (Amélie Nothomb)
Le père d’Amélie Nothomb, le diplomate Patrick Nothomb, est décédé en 2020. L’écrivain belge lui rend hommage dans ‘First Blood’ (Anagramme). Un hommage, comme il ne pouvait pas en être moins vu de qui il vient, très unique : le protagoniste du roman est son père, qui nous raconte sa vie à la première personne. Cette ressource littéraire permet à Amélie de se camoufler derrière son père et, comme si elle était un médium, d’établir avec lui un dialogue précieux.

‘First Blood’ a un début choquant : le père d’Amélie, enlevé avec d’autres otages, se retrouve devant un peloton d’exécution sur le point d’être abattu par des rebelles au Congo lors des émeutes de 1964. Partant de cette situation, des années avant la naissance de l’écrivain , Patrick Nothomb nous raconte ce qu’a été sa vie jusqu’à ce moment. Une vie pleine d’événements et d’aventures. Une vie fictive. Bref et concis comme tous ses livres, Amélie montre une fois de plus qu’elle est passée maître quand il s’agit de mêler le dramatique à l’humour, la légèreté à la profondeur. Sans jamais engloutir la voix. Avec la légèreté d’une brise d’été. 8’5.

La Rivière des Dieux (Candice Millard)
La première fois que j’ai entendu parler de l’expédition aux sources du Nil, c’est quand j’ai vu le grand film d’aventure ‘Les Montagnes de la Lune’ (1990) (disponible sur Filmin). La seconde, après la publication de « Les Montagnes de la Lune : A la recherche des sources du Nil » (Valdemar, 2011). Par conséquent, le chemin est très bien balisé. Qu’apporte ce nouveau trekking littéraire à la célèbre expédition ? Trois choses : l’efficacité narrative, la rigueur documentaire et un nouveau point de vue.

Candice Millard, ancienne rédactrice en chef de National Geographic, parvient à faire lire les près de 500 pages de ‘La Rivière des Dieux’ (Folch & Folch) comme le plus excitant des romans d’aventure. Malgré le fait que le récit s’appuie sur une solide trame documentaire (c’est-à-dire pleine de notes), il coule comme une péniche sur le Nil. Burton, Speke, Stanley, Livingstone… Ils apparaissent tous dans « Le Fleuve des Dieux ». ‘. Mais aussi -et c’est l’aspect le plus frappant du livre- les guides indigènes, jusqu’ici des héros anonymes, réduits au silence par le racisme de l’époque (beaucoup étaient ou avaient été des esclaves), mais sans l’aide desquels ces expéditions mythiques n’auraient pas eu lieu port. 7.5.

De la marge (VV AA)
Putain d’algorithme ! C’est la conclusion qui se dégage des pages de ce livre. À une époque où une grande partie de l’histoire du cinéma mondial est accessible sur Internet, les chemins pour y accéder sont plus étroits que la route de Cares. ‘From the margins’ (Libros Walden), une compilation des discontinués ‘From the margins’ (2014) et ‘La peli era mejor’ (2017), auxquelles 25 nouveaux films ont été ajoutés, propose un parcours alternatif à travers 300 films qu’aucun (putain) algorithme ne va recommander.

300 critiques, écrites avec une érudition cinéphile, une luxure cinéphage et une rhétorique de fanzine (provocante, sans préjugés et très manquante chez certains cinéastes) par quatre auteurs (José Sanz, Manuel Moreno, Enrique Piñuel et David Bizarro), qui composent une promenade suggestive en zigzag à travers les chemins cinématographique peu voyagé et à peine déblayé. Un voyage, comme expliqué dans le prologue, à travers « des paysages inconnus, des lieux oubliés, des villes fantômes et des ruines abandonnées ». Bien qu’il manque une édition un peu plus soignée (le livre est plus laid qu’une affiche de Desokupa), le contenu justifie amplement son inclusion dans ces recommandations. 7.7.



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